Le journal intime | Un genre littéraire à part
Enfant, peut-être vous êtes-vous vu(e) offrir l’un de ces carnets à couverture rigide, doté d’une serrure intégrée ou d’un minuscule cadenas assorti d’une clé pas plus épaisse qu’une feuille de papier. Entre ses pages, vous couchiez vos déboires vécus à l’école, vos tout premiers émois amoureux, vos inimitiés précoces et vos joies juvéniles à la lumière d’une lampe torche, recroquevillé(e) sous votre couette. Et gare à qui aurait voulu s’en emparer pour percer vos secrets…
Le journal intime n’a, dans les faits, pas besoin d’un support précisément dédié à cet usage pour naître et perdurer. Des feuilles volantes peuvent suffire, sans que cela n’affecte en rien sa valeur et son intérêt. Il s’agit en effet d’un véritable témoignage personnel, souvent initié pour garder une trace du temps qui passe, ou dans un but cathartique — c’est-à-dire pour extérioriser ses passions intérieures.
Loin de se limiter à une simple pratique de ménagère un peu fleur bleue, certains journaux intimes sont même rentrés dans l’Histoire… et ne sont pas près d’en sortir.
Ainsi, comme pour de nombreux écrivains qui ont traversé l’épreuve du temps, on considère ses journaux, rédigés entre 1910 et 1923, publiés pour la première fois vingt ans après sa mort et entrés dans la postérité, comme faisant partie intégrante de son œuvre littéraire.
Extrait :
« JOURNAL DE VOYAGE DE WEIMAR À JUNGBORN
28 juin-29 juillet 1912
Vendredi 28 juin. Départ à la gare du chemin de fer de l’État. Nous nous sentons bien ensemble. Les Sokols retardent le départ. Déshabillé, allongé tout de mon long sur la banquette. Bords de l’Elbe. Localités et villes joliment situées, comme sur les bords d’un lac. Dresde. Partout des denrées fraîches en grandes quantités. Service correct et propre. Les gens parlent sur un ton posé. Aspect massif des bâtiments par suite de l’emploi du béton qui, en Amérique par exemple, ne produit cependant pas cet effet. Les eaux généralement calmes de l’Elbe, marbrées par les remous. »
(Franz Kafka, Journal de l’année 1912 — 1948)
En fait, le journal intime est un genre littéraire à part entière, qui rentre dans le champ de l’écrit autobiographique. Certaines de ses caractéristiques, formelles notamment, permettent néanmoins de le différencier de l’autobiographie stricto sensu.
Il faut également prêter attention à une confusion plus courante qu’on ne l’imagine : celle qui consiste à amalgamer journal intime et genre épistolaire…
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Caractéristiques d’un journal intime
Le journal intime (parfois appelé simplement journal) est un ensemble de notes écrites au travers desquelles une personne relate des pensées ou des réflexions personnelles.
Sentiments, émotions, expériences, souvenirs, projets, évènements ponctuels ou réguliers ; en fin de compte, tout ce qui a trait à l’intime peut trouver sa place dans un journal intime.
En effet, on appelle celle ou celui qui écrit un journal intime une ou un diariste.
Un journal intime, introspectif par essence, se caractérise par une écriture à la première personne (un « je » narratif omniprésent dans le genre autobiographique) et au point de vue interne, mais également par les dates qui jalonnent chaque nouvelle entrée.
Celles-ci permettent une préservation plus précise des souvenirs de son auteur, en plus d’instaurer une progression chronologique, indispensable à la compréhension de l’ensemble si jamais ledit journal venait à être lu par un tiers.
Je ne sais pas s’il a envie de continuer. Maladie « diplomatique » (rire !). Mais je suis au bord des larmes, car c’est la fête qui n’a pas lieu. Que de fois ai-je attendu, me préparant, « belle », accueillante, puis rien. Cela n’a pas eu lieu. Et il m’est, lui, tellement impénétrable, mystérieux, par nécessité, sans doute plein d’une naturelle duplicité. Il est au Parti depuis 79. Fier, comme d’une promotion, d’un examen : il fait partie des meilleurs serviteurs de l’URSS.
Seul bonheur aujourd’hui : me faire draguer dans le RER par un jeune loubard et retrouver ce langage, qui me vient aux lèvres spontanément, « je te fous deux baffes si tu continues, etc. ». Être l’héroïne d’une drague ordinaire, crapuleuse (deux comparses observant la scène), dans un RER désert.
Est-ce que le bonheur avec S. est déjà passé ?
Mercredi 5
Neuf heures, hier soir, appel… « Je suis là, près de toi, à Cergy… »
Il est venu et nous sommes restés deux heures enfermés dans mon bureau, David étant là. Cette fois, aucune retenue de sa part. Je n’ai pu dormir, me détacher de son corps, qui, parti, était encore là, en moi. Tout mon drame est là, mon incapacité à oublier l’autre, à être autonome, je suis poreuse aux phrases, aux gestes des autres, et même mon corps absorbe l’autre corps. Il est si difficile de travailler après une telle nuit. »
(Annie Ernaux, Se perdre — 2001)
Annie Ernaux, Franz Kafka, mais aussi Anaïs Nin, Roland Barthes, David Sedaris, George Orwell, Simone de Beauvoir, Virginia Woolf, Sylvia Plath, Hervé Guibert, et la liste est encore bien plus longue que cela : nombreux sont les écrivains, issus de toutes les époques et de tous les courants, qui ont tenu un journal sur leur vie et leur travail créatif.
Notons ci-dessus une proportion rigoureusement égale de femmes et d’hommes, qui se veut représentative d’une réalité statistique concrète. Car contrairement à ce que laisseraient entendre les stéréotypes de genre les plus rétrogrades, le journal intime n’est pas une pratique féminine, réservée aux adulescentes en mal d’épanchement ou aux mères de famille en pleine tempête émotionnelle, mais une activité parfaitement non genrée, qui peut prendre des formes très diverses.
Un journal intime peut être ramassé ou fourni, régulier ou épisodique, pudique ou débauché, rédigé dans un style télégraphique ou pétri de poésie lyrique, peu importe en vérité ; il est avant tout ce que son auteur en fait.
Rien n’empêche par ailleurs d’y insérer des illustrations, des collages, des photographies…
Enfin, le journal intime, qu’il soit réel ou fictif, peut contenir des ellipses, voire des blancs considérables, surtout s’il s’agit d’un journal qui s’inscrirait à l’échelle d’une vie entière.
Son auteur n’est en rien tenu de l’alimenter chaque jour, et peut tout à fait se contenter de s’y adonner épisodiquement. En outre, il n’est pas obligé de tout documenter ou de dire tout de lui.
De la même façon, un journal intime peut être consacré à une période en particulier dans la vie de son auteur ou à un thème qui l’obsède (guerre, deuil, maladie, parentalité…). Dans ce cas de figure, sitôt que ladite période prend fin, le journal se referme souvent avec lui.
Journal intime réel vs journal intime fictif
Un journal intime, c’est d’abord une part de réel — du moins, d’une réalité subjective telle que perçue par celui qui la rapporte.
C’est le cas des journaux qui relatent directement la vie, les sentiments et les réflexions de leur auteur, auxquels on pense instinctivement lorsqu’on parle de journal intime. Ce dernier porte alors en lui une dimension autobiographique.
Ce type de journal peut intéresser un lectorat lorsqu’il est écrit par une personnalité de notoriété publique ou exceptionnellement douée en quelque chose (écrivain, mais pas seulement), afin de se rapprocher de celle-ci à travers ses écrits et de mieux comprendre la genèse de son être et/ou de son art.
Mais il existe aussi un deuxième type de journal intime : le journal fictif. Il s’agit du journal inventé d’un personnage de fiction.
Autrement dit, celui ou celle qui écrit le journal intime n’est pas celui ou celle qui s’y raconte ; auteur et narrateur deviennent deux entités distinctes, deux échelles de la narration qui s’associent au personnage pour faire exister le récit, mais qui correspondent à deux figures différentes, l’une réelle, et l’autre imaginée de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue à dérouler.
Les événements sont racontés au lecteur à travers le journal intime de Mia.
Dans les faits, ce journal n’est pas écrit par Mia Thermopolis, une collégienne complexée de 14 ans, mais par Meg Cabot, une écrivaine trentenaire (au moment de la publication du premier tome) dont le sang n’a, jusqu’à preuve du contraire, rien de royal.
Extrait (première page) :
« Mardi 23 septembre
Parfois, j’ai l’impression que je passe ma vie à mentir. Ma mère est persuadée que je n’ose pas lui dire le fond de ma pensée. Je lui ai répondu : « Mais non, maman, tu te trompes. Tout va super bien. Du moment que tu es heureuse, je suis heureuse. »
Elle dit que je ne suis pas sincère avec moi-même.
Du coup, elle m’a offert ce cahier. Elle veut que je note ce que je ressens puisque, apparemment, je n’arrive pas à lui parler de mes sentiments.
Elle veut que je note ce que je ressens ? Très bien.
COMMENT PEUT-ELLE ME FAIRE UN COUP PAREIL ?
Comme si je ne passais pas déjà pour une mutante. Je suis pratiquement la plus grande mutante de toute l’école. Soyons réaliste : je mesure 1,72 m, je suis plate comme une limande et c’est ma première année au lycée. Comment est-ce que je pourrais être plus mutante que ça ? »
(Journal d’une Princesse, tome 1 – La grande nouvelle, Meg Cabot — 2000)
Conséquence : soumis aux mêmes contraintes narratives que tout texte écrit au point de vue interne, mais relevant de l’imaginaire de son auteur, le journal fictif perd la particularité autobiographique qui caractérisait son faux jumeau réel.
Attention toutefois : ce n’est pas parce qu’il n’est pas réel… qu’il doit s’interdire d’être réaliste.
Publié en 1971 sous le nom original Go Ask Alice, il s’agit du journal intime d’une adolescente américaine qui raconte comment elle a été happée par la drogue et comment celle-ci a saccagé sa vie.
Cet exemple est particulièrement intéressant à examiner, car, d’abord publié anonymement, ce livre était présenté comme le journal authentique de son autrice-narratrice, laquelle souhaitait soi-disant rester discrète compte tenu des implications de ses révélations. Or, on attribue depuis l’écriture de l’Herbe bleue à Beatrice Sparks, une romancière américaine de confession mormone, plutôt puritaine. Sparks aurait alors cherché, à travers ce journal fictif, à faire de la prévention contre l’addiction aux drogues.
S’attaquer à un thème aussi épineux du point de vue d’une junkie était un pari audacieux pour Beatrice Sparks, mais sa connaissance du sujet ainsi que son attrait pour le thème ne sortaient pas de nulle part : l’autrice avait exercé la profession de travailleuse sociale et, en cela, avait accompagné plusieurs jeunes aux prises avec les drogues dures.
Ainsi, elle s’est servie de son expérience pour livrer un récit qu’elle a voulu le plus réaliste possible, sans bons sentiments, toujours à des fins de prévention.
Comme de très nombreux romans écrits à la première personne, l’Herbe bleue est une fiction qui cherche à dépeindre la rudesse du réel.
À quoi sert un journal intime ?
Le journal intime possède certainement autant d’utilités qu’il existe de gens pour en écrire…
Néanmoins, s’agissant du journal intime réel, on distingue deux grandes fonctions :
- une fonction de témoignage,
- une fonction cathartique.
La fonction de témoignage
Un journal intime constitue un outil d’une pertinence inouïe pour rapporter une situation, une expérience, un événement ou une époque de l’intérieur.
Ce format apporte à tout témoignage une dimension subjective, qui certes peut parfois avoir tendance à induire une certaine liberté avec les faits, mais permet également d’incarner des évènements, afin de donner l’impression à qui ne les aurait pas vécus ou les aurait oubliés de les toucher du doigt.
Il le fait, bien sûr, à travers la voix de son auteur. Cela implique que, au-delà de chercher à décrire un événement familial, global, social ou intime, le journal intime permet de comprendre comment un individu en particulier vit cet événement.
De plus, un témoignage historique sous forme de journal intime a tendance à montrer des petits détails du quotidien, insignifiants en apparence, mais essentiels pour saisir une ambiance ou un contexte.
C’est cette subjectivité dont est empreint le témoignage diaristique qui le rend unique et puissant.
La fonction cathartique
Pourquoi écrire un journal intime ? Pour laisser une trace, mais pas seulement…
Qu’on le destine ou non à être lu par autrui, le journal intime est un formidable outil de catharsis.
Théorisé notamment par le philosophe Aristote, qui la décrit comme l’effet produit par la tragédie sur les spectateurs au théâtre, à savoir purger ses passions en les vivant de façon détournée à travers l’œuvre qu’on observe.
De nos jours, on continue à utiliser ce terme en littérature, mais aussi dans un langage soutenu pour parler d’une expérience vécue, qu’elle soit artistique ou non, amenant un puissant sentiment de soulagement après avoir exprimé des émotions intenses.
L’écriture en général est un formidable moyen de libérer, de rationaliser et de transformer ses émotions.
Dans le cadre du journal intime, elle devient un vecteur d’expression directe, sans filtre, qui donne une valeur brute aux expériences relatées.
Aussi, son auteur peut y trouver la sécurité d’un espace d’affirmation intime, ainsi qu’un sentiment d’apaisement du fait de se confier sans risquer de le regretter, car il se serait livré à la mauvaise personne, ou de le faire sans avoir à y mettre absolument les formes.
C’est en partie pour cela que le journal intime demeure l’un des genres les plus populaires et qu’il transcende la littérature dans son sens le plus académique : il permet à n’importe qui d’exprimer ses émotions telles qu’elles lui apparaissent, et d’y mettre les mots qui lui conviennent, quand bien même ceux-ci ne sembleraient pas tout à fait adaptés d’un point de vue littéraire et stylistique.
Quant au cas du journal fictif, il possède un intérêt supplémentaire : il permet à son auteur d’explorer la réalité d’un autre, alors qu’il ne l’a pas lui-même vécue, et en se projetant au plus proche de lui.
Il s’agit d’un récit présenté sous la forme d’un journal intime, qui a pour particularité de se mettre dans la peau d’une petite fille esclave dans une plantation de coton états-unienne au XIXe siècle.
Clotee, de par sa condition, ne va pas à l’école et est analphabète, ce qui implique qu’elle écrit et compose comme les mots lui viennent, sans forcément connaître leur orthographe ou la syntaxe en vigueur.
Cela donne des phrases comme : « Faut vraiment je suis très, très prudente, pasqué si mon maître découvre l’affaire, il me fouettera, sûr ! ». Notons au passage l’excellent travail de traduction de l’anglais vers le français de Bee Formentelli, qui s’est attachée à restituer l’intention de l’auteur à travers chaque mot ou chaque expression.
Patricia McKissack, à en juger par l’œuvre littéraire prolifique qu’elle a laissée, n’avait pas ces problèmes d’expression, et lorsqu’elle est née, l’esclavage était — heureusement — aboli depuis le siècle dernier.
Seulement, elle a souhaité se projeter dans l’histoire d’une petite fille esclave au plus près de son quotidien pour faire vivre une véritable immersion à ses lecteurs. Pour cela, quoi de plus efficace sur le plan narratif que de donner l’impression que c’est le personnage qui tient la plume ?
Les formes nouvelles du journal intime au XXIe siècle
Quand on pense journal intime, on se figure une âme exaltée assise devant un secrétaire baroque, qui trempe sa plume dans un encrier et la laisse glisser sur les feuilles douces d’un carnet joliment orné, le tout face à une fenêtre secouée par la pluie et le vent.
Bien sûr, dans la réalité, le tableau est souvent moins élaboré… en particulier quand le journal intime ne cesse de se réinventer, et peut désormais prendre forme sur des supports numériques.
Applications mobiles, jeux vidéo sur consoles portatives (de nombreuses petites filles nées entre 1990 et 2000 se sont arraché le jeu Léa passion – Mes secrets de filles, un journal intime interactif disponible sur Nintendo DS), sites internet dédiés, et même traitements de texte ordinaires ; l’offre est pléthorique pour ceux qui fuiraient l’écriture manuscrite.
Les développeurs ne manquent pas d’imagination pour réveiller notre besoin de nous confesser secrètement, à une époque où les réseaux sociaux laissent de moins en moins place à une vie intime.
Bien que ces journaux intimes à la sauce contemporaine aient, concédons-le, sensiblement moins de charme que l’attrait de l’encre qui court sur le papier, ils ont le mérite de permettre à certaines personnes intimidées par le côté parfois jugé solennel de l’écriture manuscrite de découvrir les vertus de tenir un journal intime.
Gageons tout de même que la pratique de l’écriture de journaux intimes à l’aide de papier et de stylos, toujours prisée des diaristes à en juger par le nombre de carnets dédiés vendus en papeterie chaque année, a encore de beaux jours devant elle.
De nombreux thérapeutes et coachs de vie défendent les vertus de commencer sa journée par écrire ses pensées pour se libérer du poids des sentiments qui pourraient la gâcher. La pratique de l’expiation par les mots a le vent en poupe et porte désormais, chez les spécialistes du genre, le nom de journaling. Le terme, un anglicisme, est, il faut bien l’avouer, autrement plus vendeur que diarisme, même si c’est bien la même chose qu’il désigne en fin de compte.
En la matière, c’est certainement le livre de Tara Schuster, Achète-toi toi-même ces p*tains de fleurs, qui a raflé la plus grosse mise.
Au travers d’une confession autobiographique, Tara Schuster, qui se présente comme une anxieuse chronique et dépressive repentie, explique qu’elle a repris sa vie en main grâce à une méthode toute simple : s’atteler à écrire ses « pages du matin ».
Elle préconise ainsi de coucher, chaque matin, ses pensées sur pas moins de trois pages, de manière totalement décomplexée et automatique. La méthode miracle, selon la femme d’affaires, pour embrasser confiance en soi et vie équilibrée.
Suite au succès mondial de son ouvrage, elle a par la suite rédigé un manuel guidant l’aspirant diariste dans sa quête de la libération par l’écrit intime, lui indiquant des idées de thèmes à explorer pas à pas.
Sinon, sachez qu’un joli cahier vierge et votre inspiration feront tout aussi bien l’affaire…
Journaux intimes et littérature
Le journal intime, genre littéraire
Un journal intime, lorsqu’il est abordé en tant que pratique littéraire, est la plupart du temps destiné à être, un jour ou l’autre, montré ou publié (tout ou partie).
Pour être considéré et présenté comme tel, le journal intime doit répondre à certains codes de forme déjà abordés précédemment, tels que l’usage du « je » narratif, la présence de dates ou de repères temporels qui permettent de situer les différentes entrées dans le temps, ou encore la fragmentation du texte en notes successives (et non un enchaînement de blocs de texte linéaires ou de chapitres comme dans un roman).
Ces usages permettent, en plus de répondre aux attentes d’un lectorat qui serait particulièrement friand de dévorer des journaux intimes, de distinguer ceux-ci d’une simple autobiographie… voire d’un roman épistolaire, avec laquelle ils sont encore fréquemment confondus.
Journal intime ≠ genre épistolaire
Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos est un exemple de roman épistolaire que l’on peut citer, tout comme la novella Inconnu à cette adresse de Kathrine Kressmann Taylor.
Le journal intime et le roman épistolaire sont deux genres littéraires qui présentent des caractéristiques communes, il est vrai, à l’instar de l’adresse directe et de l’usage de la première personne.
Néanmoins, on peut facilement les différencier en observant un critère fondamental : leur destinataire.
Le journal intime n’a pas d’autre destinataire explicite que lui-même. En effet, même lorsqu’il s’agit d’un journal fictif et que l’auteur écrit en réalité pour un lectorat cible, le narrateur, lui, reste tourné sur lui-même, ce qui préserve le sentiment d’être face à un texte privé.
A contrario, les textes d’un roman épistolaire sont explicitement adressés à un autre personnage (le plus souvent présent, mais parfois absent du récit). Leur écriture est donc tournée vers un tiers qui se situe entre l’auteur et le lecteur.
En outre, le roman épistolaire est, dans l’immense majorité des cas, polyphonique, c’est-à-dire qu’il alterne entre plusieurs voix, alors que le journal intime, lui, est rarement tenu par plus d’une seule personne.
Dans ce cas, l’auteur se sert de ces procédés de manière ponctuelle pour servir son intrigue, et l’œuvre ne saurait être appelée formellement « journal intime » ou « roman épistolaire ». On dira plutôt qu’il s’agit d’un roman ou d’une nouvelle « ponctué(e) d’extraits de journal intime ou de texte épistolaire ».
Le journal d’Anne Frank, l’exemple le plus célèbre du genre
Comment parler de journaux intimes sans évoquer le plus célèbre d’entre tous, pas seulement en francophonie ou en Europe, mais à l’échelle du monde entier : le Journal d’Anne Frank ?
En 1942, alors qu’elle vit avec sa famille à Amsterdam depuis qu’elle a dû fuir la persécution nazie en Allemagne, la vie d’Anne Frank, treize ans, bascule. Elle est contrainte de se cacher de manière permanente dans une annexe secrète de l’entreprise de son père, Otto Frank, afin d’échapper à l’arrestation et à la déportation réservées aux juifs.
Anne, sa mère Edith, sa sœur Margot et leur père vont ainsi vivre reclus dans un appartement secret, l’Annexe, aidés et approvisionnés en vivres par les employés de ces derniers.
Pendant les deux ans qu’elle passera sans voir la lumière du jour, Anne, passionnée de lecture et d’écriture, tiendra, dans un carnet offert par son père à l’occasion de son anniversaire trois semaines plus tôt, un journal pour rendre compte, entre autres, de son expérience de jeune fille juive traquée et forcée à l’enfermement et à la promiscuité.
Elle s’adonnera d’abord à ce rituel pour elle-même, pour passer le temps et se donner une raison de tenir bon. Puis, en 1944, elle décidera de tout faire pour publier son journal lorsque la guerre prendra fin, et aura à cœur de commencer à le retravailler.
(Anne Frank, Journal — 1947)
Malheureusement, elle n’aura pas l’occasion de mener son dessein à terme… Le 4 août 1944, la police arrête la famille Frank au complet, ainsi que les autres membres de l’Annexe et deux complices.
Anne et Margot sont déportées vers le centre de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, puis plus tard, transférées au camp de Bergen-Belsen. Elles y mourront toutes les deux du typhus, quelques jours seulement avant la libération du camp par les troupes britanniques.
Seul Otto réchappera à la déportation des Frank, Edith étant morte à Auschwitz. En 1945, lorsqu’il rentre à Amsterdam, Miep Gies, l’une des résistantes qui l’avaient aidé à se cacher dans l’Annexe avec sa famille durant deux ans, lui remet le journal d’Anne, trouvé dans sa chambre après leur départ.
Après lecture de ses notes, bluffé par les qualités littéraires d’Anne, il décide de mener à bien le rêve de sa fille de manière posthume, à la fois pour lui rendre hommage et pour entretenir le devoir de mémoire, et entame les démarches pour faire publier son journal. Avec tout le succès que l’on connaît…
Papa, Maman et Margot ont encore du mal à s’habituer au carillon de la Westertoren, qui sonne tous les quarts d’heure. Moi pas, je l’ai tout de suite aimé, et surtout la nuit, c’est un bruit rassurant. Il t’intéressera peut-être de savoir quelle impression cela me fait de me cacher, eh bien, tout ce que je peux te dire, c’est que je n’en sais encore trop rien. Je crois que je ne me sentirai jamais chez moi dans cette maison, ce qui ne signifie absolument pas que je m’y sens mal, mais plutôt comme dans une pension de famille assez singulière où je serais en vacances. Une conception bizarre de la clandestinité, sans doute, mais c’est la mienne. L’Annexe est une cachette idéale, et bien qu’humide et biscornue, il n’y en a probablement pas de mieux aménagée ni de plus confortable dans tout Amsterdam, voire dans toute la Hollande. Avec ses murs vides, notre petite chambre faisait très nue. Grâce à Papa, qui avait emporté à l’avance toute ma collection de cartes postales et de photos de stars de cinéma, j’ai pu enduire tout le mur avec un pinceau et de la colle et faire de la chambre une gigantesque image. C’est beaucoup plus gai comme ça et quand les Van Daan nous rejoindront, nous pourrons fabriquer des étagères et d’autres petites bricoles avec le bois entreposé au grenier. Margot et Maman se sentent un peu retapées, hier Maman a voulu se remettre aux fourneaux pour faire de la soupe aux pois, mais pendant qu’elle bavardait en bas, elle a oublié la soupe qui a brûlé si fort que les pois, carbonisés, collaient au fond de la casserole.
Hier soir, nous sommes descendus tous les quatre dans le bureau privé et avons mis la radio de Londres, j’étais tellement terrorisée à l’idée qu’on puisse nous entendre que j’ai littéralement supplié Papa de remonter avec moi ; Maman a compris mon inquiétude et m’a accompagnée. Pour d’autres choses aussi, nous avons très peur d’être entendus par les voisins.
(…)
C’est le silence qui me rend si nerveuse le soir et la nuit, et je donnerais cher pour qu’un de nos protecteurs reste dormir ici.
Nous ne sommes pas trop mal ici, car nous pouvons faire la cuisine et écouter la radio en bas, dans le bureau de Papa. M. Kleiman et Miep et aussi Bep Voskuyl nous ont tellement aidés, ils nous ont déjà apporté de la rhubarbe, des fraises et des cerises, et je ne crois pas que nous allons nous ennuyer de si tôt. Nous avons aussi de quoi lire et nous allons acheter encore un tas de jeux de société. Évidemment, nous n’avons pas le droit de regarder par la fenêtre ou de sortir. Dans la journée, nous sommes constamment obligés de marcher sur la pointe des pieds et de parler tout bas parce qu’il ne faut pas qu’on nous entende de l’entrepôt. Hier nous avons eu beaucoup de travail, nous avons dû dénoyauter deux paniers de cerises pour la firme, M. Kugler voulait en faire des conserves. Nous allons transformer les cageots des cerises en étagères à livres.
On m’appelle.
Bien à toi,
Anne »
(Anne Frank, Journal — 1947)
À la fois témoignage historique majeur et récit intime débordant de sensibilité, le Journal d’Anne Frank est désormais traduit dans plus de 70 langues et s’est écoulé, à travers le monde, à plus de 30 millions d’exemplaires.
Il s’agit d’une œuvre universelle, l’une des plus importantes de la tragique histoire de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah.
Comment écrire un journal intime ?
Même s’il est difficile de ne pas se sentir tout(e) petit(e) à côté d’Anne Frank, peut-être que l’idée d’écrire votre propre journal vous a déjà effleuré(e), sans que vous osiez vous jeter à l’eau. Peur de mal faire, de ne pas écrire suffisamment bien ou de ne pas tenir la cadence sur le long terme, de ne rien avoir d’intéressant à raconter, de faire trop de fautes d’orthographe… La liste des objections à opposer est longue, et pourtant, aucune d’elle n’est réellement valable.
Vous brûlez d’écrire un journal intime ? Lancez-vous, car vous n’avez rien à perdre, même pas votre ego si votre prose reste privée.
Concrètement, si cet écrit se destine avant tout à rester confidentiel (ce qui est le cas de la majorité des journaux intimes), il n’y a pas de règle à suivre. Vous écrivez ce que vous voulez, au rythme que vous souhaitez, et avec les mots qui vous conviennent. Si vous envisagez par la suite une publication, il sera toujours temps de le retravailler au moment opportun, comme pour n’importe quel premier jet de texte littéraire.
Le support n’a pas grande importance non plus, tant que vous vous sentez à l’aise. Vous n’avez pas nécessairement besoin d’un joli carnet avec un petit cadenas : n’importe quel cahier — assorti d’une bonne cachette en fonction du degré de turpitude que contiennent vos secrets… — peut faire l’affaire.
Toutefois, si vous vous savez particulièrement prolixe, pensez à investir dans un de ces carnets auxquels on peut rajouter des pages…
C’est une possibilité, mais là encore, si vous souhaitez être plus original et opter pour un « Coucou toi ! » ou « Salut, vieille branche ! », personne ne viendra vous en empêcher.
On y pense peu, mais certains journaux interpellent une personne en particulier, issue du réel ou de l’imaginaire de l’auteur. Anne Frank, par exemple, adressait la plupart des entrées dans son journal à Kitty, son amie imaginaire. Ainsi, ses moments d’introspection diaristique débutaient souvent par « Chère Kitty ».
Si vous écrivez un texte de fiction dans lequel vous souhaitez insérer des passages rédigés sous forme de journal intime, la démarche devient alors légèrement différente.
Vous devrez tâcher de respecter les codes formels permettant au lecteur d’identifier le changement de registre, mais aussi faire en sorte que le ton adopté corresponde au personnage censé prendre la plume, y compris sur le plan du style. Par exemple, une bourgeoise issue de la haute société, tiraillée entre son mari richissime et son amant d’origine plus modeste, ne s’exprimera pas de la même façon qu’un pré-adolescent en guerre contre le diktat parental et ses professeurs…
Aussi, si vous n’êtes encore pas fixé sur ce que vous voulez écrire, sachez que la forme du journal intime se prête particulièrement bien au genre de la nouvelle, voire de la micro-nouvelle, qu’elle peut composer pour tout ou partie.
Afin de scotcher votre lecteur, pensez toutefois à prévoir une bonne chute !
Cher journal,
J’ai cogité toute la nuit, et c’est décidé : demain, je vais dire à Jean-Kévin que je l’aime, que dis-je, que je suis folle de lui. Cela fait trop longtemps que je garde mes sentiments pour moi, et je ne supporte pas de ne pas savoir s’ils sont réciproques ou non.
Bien sûr, je crains sa réaction. Mais au moins, je serai fixée. Enfin, si je ne me dégonfle pas au dernier moment…
***
Mercredi 3 décembre
Cher journal,
Ça y est, il sait, et moi aussi je sais, enfin.
Il m’aime. Il m’aime depuis toujours.
Je suis sur un tel nuage que j’en ai du mal à tenir mon stylo…
Il m’aime.
Jean-Kev, le beau gosse du collège, me kiffe.
J’ai 13 ans, et je suis déjà une femme comblée.
***
Jeudi 4 décembre
Cher journal,
Depuis que j’ai avoué mes sentiments à Jean-Kev, il me couvre d’un bonheur absolument inimaginable… Il se révèle être un partenaire si attentionné, passionné et prévenant.
Je ne m’étais pas trompée : c’est l’homme parfait, et c’est mon homme.
L’homme de ma vie.
***
Lundi 8 décembre
Cher journal,
Je suis désolée, je ne t’ai pas écrit de tout le weekend, j’étais trop occupée à réfléchir. Je ne sais pas ce qui m’arrive, je pensais avoir décroché la timbale du bonheur éternel… et pourtant.
Ça va trop vite, tout va trop vite. Par moments, l’enthousiasme de Jean-Kev m’effraie.
Ce weekend, il a insisté pour me présenter à ses parents. Devant eux, à table devant le fameux poulet rôti-frites du dimanche, il a dit : « Tu sais, Marie-Britney, j’ai déjà tout prévu. On se mariera le jour de tes 18 ans et on aura 3 enfants, 1 garçon puis 2 filles, qu’on appellera Jean-Kev junior, Britney-Marie I et Britney-Marie II. Je travaillerai d’arrache-pied pendant que tu t’épanouiras à élever notre petite famille et à faire la cuisine, ma Bribritte. Tu feras une merveilleuse épouse et mère au foyer. »
J’allais répondre que c’était peut-être légèrement prématuré à un âge où on n’avait même pas encore le droit de conduire un scooter, quand la mère de mon cher et tendre, la larme à l’œil, a levé son verre à « la belle-fille dont elle avait toujours rêvé », et que son père, au comble de la fierté, a suggéré de réserver dès maintenant la salle des fêtes du village pour le mariage, pour être sûr qu’on ne nous vole pas la date.
J’aurais dû trouver ça mignon, si seulement j’aimais cuisiner…
P.–S. : Jean-Kev dit qu’on devra inviter toute la classe au mariage, même Djessika, que ce sera une sorte de réunion des anciens élèves, comme dans la chanson de Patrick Bruel. Djessika à mon mariage, tu te rends compte ? Moi vivante, jamais !
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Jeudi 11 décembre
Cher journal,
Trop c’est trop. Hier midi, à la cantine, Jean-Kev m’a dit qu’il envisageait de casser sa tirelire et le livret d’épargne alimenté par sa grand-mère depuis sa naissance pour acheter un terrain sur lequel on pourrait construire notre future maison, comme ça, tout serait prêt pour emménager le lendemain du mariage.
Premièrement, j’ai réalisé qu’il était beaucoup plus blindé que ce que je croyais, et ensuite (et c’est vachement plus gênant), j’ai compris que je n’étais pas prête pour tout ça.
Je me suis trompée sur toute la ligne.
Ce n’est pas la vie à laquelle j’aspire. Je veux être libre. Amoureuse, mais libre.
La cuisine, les plans sur la comète, ce n’est pas pour moi.
Moi, je demandais juste la lune.
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Vendredi 12 décembre
Cher journal,
L’inévitable est arrivé. Je préférais ne pas attendre trop longtemps, on dit que plus vite on arrache un pansement, moins la douleur est forte.
J’ai quitté Jean-Kévin. Enfin, je crois, car pour le moment, il n’a pas l’air de réaliser. Il dit que je me trompe, que c’est juste le stress du mariage (mariage prévu dans cinq ans, tout de même…) et que je fais une petite crise de nerfs typiquement féminine. Il m’a même demandé en ricanant si je n’avais pas mes règles, le goujat !
En tout cas, pour moi, c’est sûr, c’est fini. Le sortilège est brisé.
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Dimanche 14 décembre
Cher journal,
Je n’arrive pas à m’arrêter de pleurer. Je pensais que le weekend permettrait à Jean-Kev de réaliser qu’entre nous deux, c’est fini, mais il ne l’entend pas de cette oreille. Ce soir, il est venu jeter des cailloux à travers la fenêtre de ma chambre restée ouverte et m’a chanté du Maître Gims en sérénade. Et comme je lui ai demandé de partir, il a commencé à devenir agressif, à dire que j’étais à lui maintenant, que c’était comme ça et pas autrement. Quand je me suis mise à sangloter, il m’a insultée et a promis qu’il allait me remettre au pas, puisqu’une femme, ça doit obéir à son mari. J’ai répliqué que j’étais une fille, pas une femme, et il a mimé un geste obscène.
Quand il est parti, furieux, j’ai voulu ramasser les cailloux. Et là, j’ai réalisé que ce n’était pas des cailloux. C’était des balles du fusil de son père.
Demain matin, je dirai à Maman que je suis malade, comme ça je n’irai pas au collège, et je n’aurai pas à croiser Jean-Kev. Mais quand même, je ne vais pas pouvoir sécher toute ma vie pour l’éviter…
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Mardi 16 décembre
Cher journal,
J’ai dû retourner au collège aujourd’hui, et Jean-Kev m’attendait de poing ferme. Il a recommencé à m’expliquer que je lui devais obéissance, ça m’a mise hors de moi. Comme je refusais d’écouter, son regard est devenu noir, sa main a fondu sur mon cou, et j’ai dû me défendre.
Je crois que j’ai fait une bêtise.
Mardi 16 décembre
Cher journal,
Pardon de te redéranger, mais… est-ce que tu sais comment cacher un corps ?
Questions fréquentes sur le journal intime (genre littéraire)
- Comment dit-on Journal intime en anglais ?
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En anglais, « journal intime » se dit diary (forme la plus courante ; se prononce « da-ieuh-ri »).
On rencontre parfois aussi les termes de private diary, ou encore personal diary.Un doute sur l’orthographe d’un mot en français ou en anglais ? Confiez vos textes au correcteur orthographique QuillBot, votre assistant de rédaction gratuit et multilingue. L’essayer, c’est l’adopter !
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Tihay, L. (5 décembre 2025). Le journal intime | Un genre littéraire à part. Quillbot. Retrieved 6 décembre 2025, from https://quillbot.com/fr/blog/genre-litteraire/journal-intime/