Le point de vue omniscient | Enjeux et perspectives
Que l’on soit romancier, conteur ou scénariste, raconter une histoire à la fois captivante, solide et incarnée requiert de se plier à un exercice délicat mais salutaire : choisir quelle sera la voix narrative la plus à même de porter le récit.
Pour mieux se représenter les choses, la fonction de la narration est équivalente à celle qui incombe à la caméra dans le septième art.
En littérature, la lentille peut être placée dans la tête d’un personnage en particulier. Celui-ci nous fait alors vivre les évènements à travers ses yeux, ce qui implique de fait que les péripéties nous sont rapportées uniquement selon sa propre subjectivité.
Plus rarement, la lentille ne fait que capter et reproduire un reflet graphique, de façon rigoureusement visuelle et objective, quand d’autres fois, le boîtier de la caméra est posé sur l’épaule d’un narrateur invisible, doté d’un superpouvoir à nul autre pareil : celui de pénétrer chaque esprit, chaque pensée, chaque émotion présente dans le champ.
Cette dernière option renvoie à un type de focalisation bien spécifique, et prisée des raconteurs d’histoires pour son efficacité narrative : le point de vue omniscient.
Comme les enfants se relevaient pour retourner vers lui, un fuselage métallique apparut derrière les falaises abruptes qui encadraient le port. Au moment où l’avion argenté filait juste au-dessus d’eux, les roues se replièrent sous la carlingue. Tous deux, les yeux écarquillés, regardèrent l’avion qui volait si bas qu’ils avaient l’impression qu’il allait les emmener avec lui. L’ombre énorme aux ailes ouvertes couvrit un instant le port tout entier, rafraîchissant les corps surchauffés des deux enfants.
Sur le ferry, la chaleur et l’odeur de mazout les firent suffoquer. Le point de vente était fermé, et un papier annonçant En panne collé sur la machine automatique de boissons, sur la télé et sur le ventilateur mural. »
(Ryû Murakami, Les Bébés de la consigne automatique)
Analyse :
L’usage de la troisième personne conjugué au fait que la narration s’attarde simultanément sur les pensées de plusieurs personnages à la fois (ils avaient l’impression [que l’avion] allait les emmener avec lui), ainsi que leurs sensations (rafraîchissant les corps surchauffés des deux enfants ; la chaleur et l’odeur de mazout les firent suffoquer), annonce sans équivoque un point de vue omniscient.
Le narrateur omniscient porte comme un gant son surnom de narrateur-Dieu, puisqu’il n’est pas seulement à même de sonder les pensées les plus intimes des personnages : il est capable de connaître leur passé, leur présent, et même leur futur.
Ce qui, bien évidemment, lui confère une certaine longueur d’avance sur les personnages… et le lecteur.
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À utiliser sans modération durant le travail préparatoire, avant de se lancer dans la rédaction à proprement dit, ou pendant la phase de réécriture !
Qu’est-ce qu’un point de vue omniscient ?
Avant toute chose, le point de vue omniscient est l’un des trois grands points de vue narratifs.
Préambule : les points de vue narratifs
Un point de vue narratif (ou focalisation narrative, ou plus simplement focalisation) est avant tout une question de perspective.
Cette perspective, adoptée par l’auteur, influence considérablement la façon dont le lecteur voit, entend, comprend ou ignore des éléments de l’histoire, mais également dont il perçoit les personnages.
De ce fait, elle participe de façon majeure au processus d’identification du lecteur.
Pour ce faire, l’auteur a le choix entre trois grands types de points de vue narratifs :
- le point de vue interne,
- le point de vue externe,
- le point de vue omniscient.
Nota bene : un même récit n’est pas forcé de s’en tenir au même point de vue sur toute sa longueur. Ainsi, plusieurs focalisations peuvent se mélanger, alterner au sein de la même histoire, entre deux chapitres, et parfois même au sein d’un seul chapitre. Tant que la maîtrise technique et le respect de l’intention littéraire sont au rendez-vous du côté de l’auteur, cela peut servir habilement le récit.
Lorsque l’auteur fait le choix de raconter son histoire à travers les points de vue de plusieurs personnages, en alternance entre différents points de vue internes, cela porte d’ailleurs un nom spécifique : on parle de roman choral, ou roman polyphonique.
- « La maison est extraordinaire. C’est une immense villa en stuc blanc de trois étages, dont un grenier aménagé, avec de hautes fenêtres percées dans les façades avant et arrière qui offrent une vue traversante sur la mer. J’imagine qu’il a fallu abattre un mur pour créer un espace aussi dégagé dans une bâtisse victorienne, et installer des poutres en acier dans le plafond. Un sacré budget. Tout ça pour donner aux propriétaires un peu plus de lumière et de volume. Je ressens une pointe de jalousie inhabituelle. Ça ne me ressemble pas d’envier les autres. En général, je ne pense jamais à eux. Mais ce cas-là est complètement différent. »
(Lisa Jewell, Ne le laissez pas entrer, Chapitre un – Premières lignes du roman) - « Il n’y a pas eu d’éclaircie de la journée, pas une seule, ce qui est ironique, car le père d’Ash était obsédé par le soleil, il lui courait après partout dans le jardin, dans le monde entier. Il avait une lampe de luminothérapie dans son bureau pour les jours de grisaille, il étudiait les prévisions météorologiques religieusement, il insistait pour allumer le barbecue au moindre signe avant-coureur du printemps. Il avait choisi cette maison parce qu’elle était exposée plein sud et avait ses petits coins de verdure favoris pour en profiter, dont un en particulier qu’il avait surnommé « Ibiza », où il pouvait prendre le soleil même en février. « Je vais faire un petit tour à Ibiza », leur lançait-il les matins de beau temps, un café à la main, ses lunettes de soleil coincées dans les cheveux. Il y avait toujours un flacon de crème solaire à côté de la porte du jardin. Toute l’année.
Mais aujourd’hui, alors qu’ils viennent de lui faire leurs adieux, le soleil est resté caché. Ash aime à penser qu’il se l’est gardé pour lui. Puis, réflexion faite, non. Elle est certaine que les morts n’ont aucune influence sur ces choses-là.
Il avait cinquante-quatre ans.
Il a été tué par un inconnu.
Poussé sur les rails du métro.
Alors qu’une rame arrivait.
Il rentrait à la maison après l’inauguration d’un restaurant, pas l’un des siens mais celui d’un ami, à Soho. Il était complètement ivre. Il avait bu des shots de tequila, selon les dires de son ami. Un bon vivant. Le meilleur de tous, Paddy Swann.
L’homme qui l’avait poussé s’appelait Joe Kritner.
Là. Comme ça. Un instant. Deux vies brisées. Plus, si l’on compte le conducteur du métro, les témoins, les secouristes qui avaient dû recueillir les morceaux de son corps sur les voies. »
(Lisa Jewell, Ne le laissez pas entrer, Chapitre deux)
Le dernier roman de Lisa Jewell, Ne le laissez pas entrer, voit son intrigue racontée selon différents points de vue, et ce dès le départ.
Les chapitres alternent régulièrement (comme c’est le cas ici avec les chapitres 1 et 2) entre un point de vue interne à la première personne (celui d’un mystérieux inconnu, qui devient de moins en moins mystérieux et de moins en moins inconnu à mesure que le récit avance…) et un point de vue interne à la troisième personne. Ledit point de vue interne à la troisième personne est systématiquement porté par une protagoniste féminine, mais pas toujours centré sur le même personnage.
C’est un procédé bien connu de cette autrice, qui a pour habitude d’exploiter avec brio les atouts de la polyphonie narrative afin d’insuffler rythme et suspense à son œuvre. Il faut dire que le genre littéraire dans lequel elle s’illustre, le thriller domestique, se prête particulièrement à cette technique…
S’orienter vers tel type de narrateur plutôt qu’un autre est, de ce fait, une décision qui ne saurait être prise à la légère, et qui doit toujours servir les intérêts de l’intrigue et du récit.
Point de vue omniscient : définition
Le point de vue omniscient — autrement appelé focalisation omnisciente, ou narration omnisciente — est un mode de narration qui repose sur l’emploi d’un narrateur qui sait absolument tout de tous les personnages de l’histoire, ainsi que de l’univers dans lequel ils évoluent.
Qu’il s’agisse de leurs destinées passées, de leur situation présente, de leur dessein futur ou du déroulé des évènements les concernant au sein de l’intrigue, rien ne saurait lui échapper.
En clair, en bon Monsieur-je-sais-tout, il est mieux renseigné que la CIA, le FBI, Morgan Freeman grimé en Dieu hollywoodien et James Bond réunis !
Les actions, les pensées, les émotions, les désirs et les intentions de l’ensemble des personnages, ainsi que leur passé, leur présent et même leur futur, sont tous connus par le narrateur omniscient.
Relativement à son superpouvoir d’omniscience, on l’appelle aussi le narrateur-Dieu, ou la focalisation zéro.
En effet, en bon français, on abrège la notion de point de vue (quel qu’il soit) à l’aide du sigle « PDV ».
Toutefois, dans certains médias ou canaux de communication, notamment les communautés de jeunes auteurs sur Internet (à l’instar de Wattpad), PDV est remplacé par l’acronyme « POV », qui est l’abréviation de son équivalent anglais, Point of View.
Les deux signifient la même chose, et il n’est pas rare de les rencontrer dans de nombreux manuels traitant des enjeux de la narration.
Bien sûr, si vous devez choisir d’employer l’une ou l’autre des abréviations, nous vous recommandons de privilégier le sigle français par souci de cohérence avec la langue de l’adjectif adjoint au substantif. Cependant, ne soyez pas surpris de relever la présence de son pendant anglo-saxon, notamment au sein de certains contenus informels…
Les caractéristiques majeures du point de vue omniscient
Ami auteur en quête de professionnalisme : déterminer si le point de vue omniscient est plus à même de servir ou de desservir votre récit et votre intention littéraire (c’est-à-dire pourquoi vous souhaitez écrire cette histoire et pas une autre) est une étape à laquelle vous ne pouvez vous soustraire.
Le mieux est encore de se poser cette question en phase préparatoire, afin de vous épargner de longues heures de réécriture rébarbatives alors que vous en êtes déjà aux trois quarts de votre premier jet (si tel est déjà le cas, pas de panique : bon nombre d’auteurs aujourd’hui reconnus sont tombés dans le même terrier de lapin à leurs débuts !). Néanmoins, quel que soit le moment où viendra le temps d’effectuer un choix, il est nécessaire, pour faire le bon, de comprendre les spécificités et les ressorts du point de vue omniscient.
Autrement dit, tout ce que son utilisation implique, de l’incidence la plus pratique à la plus épineuse…
- Point de vue et pronom personnel ne sont pas toujours liés de façon exclusive, mais dans le cas du point de vue omniscient, la personne narrative employée est toujours la même. Tandis que le point de vue interne peut être écrit à la première (je/nous), à la troisième (il(s)/elle(s)), et même à la deuxième personne (tu/vous), le point de vue omniscient, à l’instar du point de vue externe, passe nécessairement par la troisième personne.
Lorsqu’on prend un peu de distance pour y réfléchir, cela semble assez logique : l’utilisation de la première ou de la deuxième personne impliquerait que le narrateur fasse partie de l’histoire. Or, le narrateur omniscient, puisqu’il sait tout sur tout, qu’il plane au-dessus du récit et de ses protagonistes tel une puissance divine capable de connaître le passé et de prédire le futur, ne saurait se limiter au rang de simple personnage dans l’histoire. Et ce, qu’il s’incarne sous la forme d’une créature fantastique dotée de superpouvoirs ou d’un vulgaire mortel…
Et pour les petits malins qui argueraient qu’écrire un roman à la troisième personne, raconté du point de vue de Dieu lui-même, serait une façon de réinventer la narration omnisciente, n’oubliez pas que l’usage de ce dernier implique que le narrateur relaie les informations au lecteur en pénétrant les pensées de plusieurs personnages. En plus de vous mettre potentiellement à dos les Églises de ce monde pour blasphème, vous vous fatigueriez donc pour rien : avec un seul personnage aux commandes du récit, aussi télépathe soit-il, ce dernier reste… un récit au point de vue interne.
En d’autres termes, le narrateur omniscient ne peut pas être un personnage de l’histoire ; il est forcément en dehors.
- Grâce au point de vue omniscient, le narrateur sait tout ce qu’il se passe pour chacun des personnages… y compris lorsque ceux-ci sortent du champ de la scène racontée.
Le fait que le narrateur sache des choses que les personnages ignorent les uns sur les autres crée de l’ironie dramatique.
Micheline trompe son mari Gérard avec son jeune et séduisant voisin Rodrigue, quadruple champion régional de sculpture sur flageolet et trépidant collectionneur de boîtes de camembert vides. Ce que Micheline ignore encore, c’est que Gérard a désormais connaissance de l’adultère de sa femme et planifie déjà sa terrible vengeance…
Même si une scène du roman s’arrêtait un instant sur le grand dilemme de Micheline, en train de confier à sa collègue Monique son hésitation à tout plaquer pour partir élever des chèvres dans le Larzac avec son jeune amant vigoureux, le narrateur, puisqu’il est omniscient, sait exactement ce que Gérard est en train de faire au même moment à plusieurs kilomètres de là. Il sait les émotions qui le traversent, et même l’odieux dessein qu’il fomente… à savoir acheter toutes les boîtes de flageolets de tous les supermarchés de la région afin d’empêcher Rodrigue de s’entraîner pour rafler son cinquième titre le mois prochain. Le jeune coq, que Gérard sait fier comme un pou, ne pardonnerait jamais cet échec de toute une vie à sa dulcinée, laquelle retomberait aussitôt dans les bras de son tendre époux, et tant pis pour l’ego.
Il peut choisir de glisser quelques mots plus ou moins subtils sur les plans de Gérard dans la même scène, ou bien ultérieurement… ou même pas du tout.
En fait, sa liberté en la matière est totale. Car, de tous les points de vue narratifs, l’omniscient est celui qui offre la plus grande liberté à son auteur. Liberté que l’auteur doit pleinement mesurer à chaque ligne… afin de ne pas en abuser, au risque de noyer son récit et ses personnages sous une pluie d’informations inutiles à l’histoire.
- Un narrateur omniscient sait non seulement tout sur les personnages, mais également sur le monde dans lequel ils évoluent. Une caractéristique qui le rend particulièrement intéressant à considérer pour peu que l’on se lance dans l’enfantement d’un roman de fantasy ou d’une dystopie…
- Le narrateur omniscient est tout indiqué pour transmettre au lecteur un sentiment de maîtrise totale et de toute puissance sur l’histoire racontée, avec lequel l’auteur peut jouer… quitte à chercher à tromper l’intuition dudit lecteur grâce à de faux indices sciemment semés pour le berner.
- Opter pour une narration omnisciente, c’est faire le choix d’un narrateur intrusif, qui a la possibilité de commenter l’histoire sur différents tons (humour, cynisme, mélodrame…) et, ainsi, d’apporter une vraie verve au récit. Ce narrateur n’est pas forcé de s’en tenir à une neutralité stricte comme avec le point de vue externe ni contraint de s’aligner sur le ton du personnage sur lequel il se focalise au point de vue interne.
De cette façon, le point de vue omniscient est particulièrement jouissif pour les auteurs qui apprécient jouer avec le style, la construction et le suspense. - Le narrateur omniscient ne doit pas être confondu avec l’auteur. C’est le cas pour tous les types de narrateurs, mais le fait que la focalisation omnisciente offre un accès illimité à la connaissance des personnages et de l’univers encourage à replonger dans cette confusion. Ne perdez jamais de vue que si auteur et narrateur deux sont tout-puissants sur le récit, celui qui raconte reste malgré tout guidé et animé par celui qui écrit. Et surtout, le premier n’existe pas sans le dernier…
Le vrai maître à bord, c’est l’auteur. C’est vous. - Ce n’est pas parce que le narrateur omniscient sait tout que l’auteur doit lui faire tout dire ou décrire. Gare à la surcharge informationnelle, qui nuirait gravement à l’immersion et au suspense. À l’inverse, distiller intelligemment les informations en prenant ce qu’il vous faut chez chaque personnage et en gardant le reste sous silence contribuera à créer la tension narrative dont chaque récit a besoin, et pas seulement les thrillers. Vous pouvez écrire la romance la plus « bisounours » du monde, vous avez besoin de tension narrative pour faire avancer votre histoire et y entraîner votre lecteur, sinon il descendra du train à la prochaine gare et ne vous suivra pas jusqu’au terminus…
Point de vue omniscient : exemples
Malgré le fait qu’il se rattache toujours à la même personne narrative, le point de vue omniscient peut prendre différentes formes et être utilisé de manières très diverses.
Exemples d’œuvres littéraires écrites au point de vue omniscient
| Œuvres classiques | Œuvres contemporaines |
|---|---|
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Toutes ces œuvres appartiennent à différentes époques et différents genres littéraires, ce qui tend à prouver par l’exemple l’universalité du point de vue omniscient, qui traverse les modes et les temps.
Une tendance qui n’a fait que s’accélérer au XXe siècle, le point de vue interne à la troisième personne ayant quelque peu supplanté le point de vue omniscient dans le cœur des auteurs… et des lecteurs.
Le lectorat cherche désormais moins à connaître la vérité sur un cercle ou un milieu qu’à s’identifier à des personnages qu’ils pourraient croiser sur leur chemin ou fréquenter, sans la distance qu’instaure le point de vue omniscient.
Écrire le point de vue omniscient : extraits
Un narrateur omniscient ne se concentre pas seulement sur l’un des protagonistes de l’histoire. Il peut rentrer à l’intérieur de la psyché de chaque personnage qui a un rôle à tenir, aussi anecdotique soit-il. Ce qui ne veut pas dire qu’il le fait systématiquement… Car il s’agit, d’autant plus lorsqu’on a connaissance de tout, de sélectionner ce qui doit être dit et ce qui doit être tu.
Le narrateur omniscient cherche souvent à transmettre au lecteur un sentiment de maîtrise totale et de toute puissance sur l’histoire racontée, avec lequel l’auteur peut jouer à sa guise.
[…]
Marsac glissa une main dans le désordre de ses cheveux. Elle avait lâché la rampe. L’argument lui parlait. Combien de fois avait-il déjà constaté qu’en préférant tourner le dos au malheur, certains espéraient qu’il disparaisse ?… Au sein de ces familles, l’indifférence et l’aveuglement étaient les filles aînées de la mort. »
(Elsa Roch, La Fureur des mal-aimés)
Analyse :
Dans un même passage, la narration omnisciente perce à la fois les pensées de Sils-Maria et de Marsac, rapportées.
Si Elsa Roch avait opté pour un point de vue interne, elle aurait dû se résoudre à renoncer à rapporter les pensées de l’un des deux personnages. La voix narrative aurait alors dû se contenter d’accéder à l’intériorité d’un seul d’entre eux.
Outre les pensées et sensations qu’il dépeint, le point de vue omniscient peut prendre différentes formes selon qu’il cherche à mettre en avant une faille dans l’histoire, un ton ou un style.
Et en parlant de ton, justement, un narrateur omniscient peut s’en tenir à une certaine neutralité ou, au contraire, commenter les actions et les pensées des personnages, telle une petite souris télépathe dissimulée sous une table… et friande de commérages.
Il peut aussi rapporter les pensées d’un ou plusieurs personnages présents dans la narration sous la forme de discours direct. Ce faisant, il emprunte un peu à cette méthode immersive et réaliste chère au point de vue interne, mais sans pour autant devoir se limiter à sonder l’âme d’un unique personnage.
— Et quant au moyen utilisé, vous avez des informations ?
— Non, malheureusement. Mais puisque la dernière fois les portables ont été mis hors d’usage, ils ont dû élaborer un autre stratagème.
Cela semblait probable, en tout cas, pourtant Hasumi n’en aurait pas mis sa main au feu.
— Bon, eh bien, qu’allez-vous faire ? Les portes ouvertes du lycée, c’est le mois prochain ! Imaginez un peu, si d’ici là vos « rumeurs » persistent et que les gens les entendent ! Personne ne voudra s’inscrire chez nous !
C’est toi le responsable, crétin.
Hasumi, rassemblant tout son calme, afficha un sourire plein d’assurance. »
(Yûsuke Kishi, La leçon du mal)
Analyse :
Il est facile d’identifier l’unique phrase en italique dans ce passage (C’est toi le responsable, crétin.) comme une pensée d’Hasumi rapportée telle qu’une voix intérieure la lui murmurerait dans son cerveau.
Ce procédé est très courant au point de vue interne, mais il peut également être de mise au point de vue omniscient (qu’on distingue au fait que l’on a aussi affaire à une réflexion intérieure de Sakai, rapportée indirectement celle-là — Sakai refusait de le croire sur parole).
Point de vue omniscient ou la troisième personne focalisée : ne plus se tromper
S’ils ont en commun de se cantonner à la troisième personne, il demeure plutôt aisé de différencier point de vue externe et point de vue omniscient.
Il observe et décrit les évènements et les protagonistes avec une neutralité stricte, sans pouvoir accéder aux pensées, aux sensations physiques, aux opinions ou au passé de quiconque.
Le point de vue externe est reconnaissable à son côté clinique, à son objectivité à toute épreuve.
Mais quand le point de vue interne prend la forme d’un narrateur à la troisième personne, une possible confusion avec le point de vue omniscient, qui permet lui aussi d’accéder aux pensées des personnages, est vite arrivée…
Ce type de narration limite la distraction du lecteur sans pour autant affaiblir ou taire la voix du narrateur. Il permet de faire oublier le récit (et toute la technique nécessaire pour lui faire voir le jour) au profit de l’histoire.
Très prisée par la littérature actuelle, la troisième personne focalisée entretient la connexion du lecteur avec le personnage qu’il suit tout en posant sur le narrateur une sorte de cape d’invisibilité qui contraste avec un « je » plus fort, qui prend des airs de « chuchotement » à l’oreille du lecteur.
Pour éviter de s’emmêler les pinceaux et discerner les deux points de vue, il faut prêter attention à deux éléments qui, heureusement, ne sont pas si sorciers à identifier : la source des informations et ce que sait le narrateur.
En effet, si le narrateur au point de vue interne s’exprime à la troisième personne, il n’en reste pas moins interne, ce qui signifie qu’il adopte le regard d’un seul personnage à la fois.
De ce fait, tout ce que le lecteur connaît passe obligatoirement par ce personnage.
Le narrateur omniscient a fait de la troisième personne son unique moyen d’expression, mais dans son cas, il sait tout… sur tout le monde.
Il a un accès illimité aux pensées de tous les personnages sans exception et connaît leur parcours et leur devenir.
Au même moment, au beau milieu du hall 1 de la Gare de Lyon, Philippe maudissait la SNCF et sa conception très personnelle de la ponctualité, ainsi que la batterie malade de son vieux téléphone déchargé — des années que sa sœur le tannait pour qu’il en change. Pauvre Célia, elle allait croire qu’il était prêt à lui briser le cœur de nouveau. Il voulait bien prendre sur lui le rôle du salaud qu’il était, mais pas quand il n’avait rien fait pour le mériter…
Un autre moyen de distinguer les deux au premier coup d’œil, c’est de se demander si le narrateur à la troisième personne exprime, déroule des faits et des sentiments dont aucun personnage ne peut avoir connaissance.
Si oui, alors on a affaire au point de vue omniscient.
Si non, alors il s’agit de la troisième personne focalisée, soit une forme de point de vue interne.
Quant à savoir lequel des deux il est préférable d’utiliser en tant qu’auteur, cela dépend de votre histoire et de votre intention littéraire.
Une chose est sûre : on ne saurait opérer de hiérarchie entre ces points de vue sans contextualisation : aucun n’est fondamentalement plus indiqué qu’un autre. Tout se joue selon l’histoire que vous voulez raconter, la manière dont vous voulez la raconter, et des personnages que vous voulez mettre en scène…
Le choix d’un narrateur au profit d’un autre s’appuie nécessairement sur une vision globale de son histoire et de son récit, qui doit faire l’objet d’une véritable réflexion en amont.
Notez que si vous écrivez à des fins de publication traditionnelle, le genre littéraire peut constituer un vrai critère.
Par exemple, la romance se prête particulièrement au point de vue interne à la première personne. Ses adeptes en sont mordus, alors que les romans de fantasy usent plus volontiers du point de vue omniscient. Pourquoi ? Car celui-ci n’a pas son pareil pour exposer toutes les caractéristiques d’un monde imaginaire (rapport à votre worldbuilding) sans donner l’impression qu’un personnage déroule tout l’historique de son monde de manière lourde et maladroite.
Côté littérature noire, le roman policier apprécie lui aussi le point de vue omniscient, qui lui permet de fournir pléthore d’indices au lecteur tout en maintenant une distance profitable au déroulé d’une enquête. Alors que le thriller, dont la construction repose davantage sur une ambiance oppressante et sur le non-dit, a souvent tendance à faire usage du point de vue interne.
Maintenant, pour peu que vous ayez conscience des implications de chacune des focalisations qui s’offrent à vous et que vous soyez prêt à assumer et justifier vos choix, rien ne vous empêche de prendre la norme à contrepied pour vous démarquer.
Les verbes de parole, par exemple, ne sauraient se limiter à Dire, au risque d’ennuyer très vite le lecteur avec trop de répétitions. Pour diversifier vos incises, pourquoi ne pas faire appel à une liste des synonymes de Dire ? Une façon astucieuse et ludique de reformuler votre texte…
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Tihay, L. (5 décembre 2025). Le point de vue omniscient | Enjeux et perspectives. Quillbot. Retrieved 18 décembre 2025, from https://quillbot.com/fr/blog/ecriture-creative/point-de-vue-omniscient/