Hiatus | Définition

En linguistique, un hiatus est la succession de deux voyelles au sein d’un même mot ou entre deux mots.

Hiatus def
  • Succession de deux voyelles au sein d’un mot :
    • roport,
    • éolien,
    • éosine,
    • oasis,
    • lion,
    • miel,
    • oublier,
    • etc.
  • Succession de deux voyelles entre deux mots :
    • Il va à la piscine.
    • Elle a ôté son chapeau.
    • Son père lui a donné la réponse.
    • On a abattu le vieux pommier.
    • Y a-t-il un hôtel dans les environs ?

Désagréable à l’oreille, l’hiatus a toujours eu mauvaise presse. L’accusant de rompre l’harmonie vocalique, les poètes français fustigent cette dissonance phonétique pour mieux exploiter la cacophonie qu’elle engendre.

De la diérèse à l’ajout parfois erratique de consonnes euphoniques, l’hiatus et sa mise à l’index résument à merveille l’histoire de la langue française, ou l’art de se compliquer la vie pour la beauté du geste…

Hiatus : définition

Un hiatus n’est pas simplement la succession de deux voyelles, mais de deux sons vocaliques. Cette précision est importante parce qu’il existe en français des suites de voyelles qui ne provoquent pas d’hiatus.

Associant deux ou trois voyelles, les digrammes au, ai, ei, eu, oi et les trigrammes eau ou oie ne forment qu’une seule syllabe. Ces associations de lettres ne présentent pas d’hiatus, car les voyelles ne sont pas prononcées individuellement : elles produisent un seul et même son (au et eau donnent le son [o] ).

Depuis des siècles, cette juxtaposition n’est nullement synonyme de bon voisinage. Déjà en grec, puis en latin, elle est davantage perçue comme une collision latérale. Et pour cause : la succession de deux voyelles provoque une difficulté articulatoire.

Les muscles de notre appareil phonatoire, surtout ceux de la langue, des lèvres et des mâchoires, fournissent en effet plus d’efforts pour prononcer deux sons vocaliques successifs que pour enchaîner une voyelle et une consonne.

Hiatus : toute une histoire…

Cet effort, minime s’il en est, est consenti dans d’autres langues. La graphie du prénom masculin Ian présente un hiatus en anglais et dans les langues germaniques. En français, la substitution du « i » initial par la semi-voyelle « y » adoucit l’hiatus en un son dit mouillé.

L’hiatus ou la politique du moindre effort…
D’un point de vue articulatoire et musculaire, il est plus rapide pour les francophones d’alterner consonnes et voyelles lorsqu’ils parlent. En faisant se succéder deux voyelles, l’hiatus provoque une certaine rupture de la chaine parlée.

Il existe pourtant des hiatus dans la langue française que l’on prononce sans difficulté ; le mot août en est le parfait exemple. D’origine latine, augustus a d’abord été abrégé en agustu, puis dépouillé en aost par l’ancien français (entre le XIe et le XIVe siècle).

Une fois n’est pas coutume, la prononciation influe sur la graphie de l’époque. Prononcé [aust], la lettre « u » réintègre la forme graphique (aoust), mais la prononciation s’en éloigne en moyen français (du XIVe au XVIe siècle), où l’on hésite entre l’hiatus [au] et le son unique [u].

Aujourd’hui, la prononciation [ut] a la faveur de l’hexagone, mais dans certaines zones de la francophonie, comme au Québec, la syllabe unique [u] est majoritaire. Mieux encore, on retrouve les hiatus [au] et [aut] chez certains locuteurs québécois.

Force est de constater que même en français moderne hexagonal, l’hiatus n’a pas dit son dernier mot : les vacanciers qui partent au mois d’août sont des aoutiens [ausjẽ] que tout Français prononce sans se luxer la mâchoire ni se fouler la langue…

La prétendue difficulté mécanique n’est pas à l’origine de la mise à l’index de l’hiatus, elle n’en est que l’excuse.

À partir du XVIIIe siècle, le français classique devient la langue de la diplomatie et des relations internationales ; un certain prestige lui est attribué. Déjà perçue négativement par les locuteurs du grec et du latin, la collision de ces deux voyelles devient pour certains poètes un cahot de l’énoncé.

Dans un français que l’on veut pur, lisse, esthétiquement soigné et internationalement prestigieux, ça sonne plutôt mal…

Hiatus et poésie

Propres aux langues latines, les considérations esthétiques associées à l’hiatus prennent une ampleur inégalée dans la poésie française. Vitrine de la langue, de sa pureté et de son esthétisme, la poésie classique est extrêmement codifiée.

La métrique, l’ensemble des règles de composition des vers, impose aux poètes et aux dramaturges un nombre précis de syllabes pour assurer l’harmonie vocalique et rythmique du poème.

La prononciation d’un hiatus produit normalement deux syllabes (li-on), un phénomène phonétique appelé diérèse. L’inverse de cette découpe s’appelle la synérèse et produit une seule et même syllabe (lion ). Autrement dit, la diérèse ajoute ; la synérèse soustrait.

De Corneille à Hugo, les poètes français ont transformé ces phénomènes phonétiques en figures de style. La longueur du vers étant déterminée par le nombre de syllabes, une lecture à la lumière de l’un ou l’autre de ces phénomènes permet d’allonger ou de réduire le vers. Les auteurs ajustent ainsi artificiellement sa longueur pour en respecter la métrique.

La perception de l’hiatus se soumet au bon vouloir des poètes. Par synérèse, il est symbole de pureté, de classicisme et d’esthétisme. Par diérèse, il revendique une absence volontaire d’harmonie pour créer un double effet stylistique et phonétique, affichant maîtrise de l’art poétique et anticonformisme.

De phénomène phonétique à subterfuge poétique, l’hiatus a servi l’intérêt des poètes français. Sa perception négative est toujours présente, mais d’autres attributs, tels que la virtuosité ou l’avant-gardisme, lui sont paradoxalement associés.

Hiatus : synonyme
Phénomène linguistique, l’hiatus ne possède pas de synonyme. Toutefois, le terme linguistique désignant une discontinuité de la chaine parlée, voire une rupture de l’harmonie vocalique, son sens est entré dans le langage courant par métonymie.

Ce sens figuré est donc synonyme de discontinuité ou de rupture, mais aussi de cassure, d’interruption, de coupure ou de séparation. Il peut également désigner l’espace abstrait qui résulte de ce manque de continuité : fossé, écart, voire désaccord.

Souvent employé dans les médias, le mot hiatus appartient au langage soutenu, même lorsqu’il est employé dans son sens figuré.

Le remède à l’hiatus : la lettre euphonique

En dehors d’espace artificiellement construit, comme le genre poétique, la langue reste une construction. Si elle n’est pas forcément artificielle, elle est éminemment sociale. Ce faisant, elle reflète l’humain et répond aux mêmes principes qui régissent bon nombre d’usages sociaux : du beau et de l’économique.

Ainsi, toute langue vise l’harmonie vocalique, appelée euphonie, et l’économie linguistique. L’esthétisme à faible coût explique, entre autres, les phénomènes oraux d’apocope (ciné, télé, photo), de troncation (aprèm au lieu d’après-midi), d’aphérèse (bus au lieu d’autobus) ou de syncope (M’man, P’pa au lieu de Maman, Papa).

Ce double principe est également à l’origine de l’insertion de consonnes dites épenthétiques pour rétablir l’harmonie vocalique a priori déficiente de certains mots.

C’est le cas de la lettre « h » dans le mot chambre. Issue du latin camera, la pièce d’un lieu d’habitation s’écrit cambre jusqu’au XIe siècle. L’ajout du « h », en ancien français, permet la formation du digramme « ch », perçu plus mélodieux, car ce son laisse passer l’air, contrairement au digramme « ca ».

Dans le cas de l’hiatus, ce sont les consonnes « t » et « s » qui sont privilégiées pour interrompre la succession des voyelles, notamment dans les formes cueilles-en et vas-y . Ce « s » n’est en aucun cas la terminaison de l’impératif, mais bien une lettre euphonique ajoutée artificiellement pour supprimer l’hiatus entre le verbe et le pronom.

La lettre « t » remplit la même fonction dans les tournures interrogatives. Puisque l’inversion du pronom personnel il ou elle et du verbe avoir, conjugué au présent, produit un hiatus, les formes A-t-il aimé ? et A-t-elle fini ? affichent un « t » euphonique.

Pourtant, la forme impersonnelle y a-t-il ne présente qu’une seule lettre euphonique pour deux hiatus. Le « y » bénéficie, ici encore, de son statut particulier de semi-voyelle : il se prononce comme une consonne mouillée.

De fait, le « t » euphonique est très productif en français pour éviter l’hiatus. Cet ajout esthétique et artificiel est source d’erreurs chez les francophones. On trouve régulièrement l’ajout erroné de cette lettre euphonique dans « m’entend-t-il » .

Si l’absence d’hiatus ne justifie pas cet ajout, il s’explique par une volonté de faire correspondre ce que l’on dit à ce que l’on écrit. La terminaison de la forme m’entendil se prononce en fait comme un « t », plutôt qu’un « d ». Notre prononciation contourne une difficulté articulatoire, mais, comme trop souvent en français, la graphie s’éloigne grandement de la prononciation.

Pour éviter ce genre d’erreurs, l’utilisation d’un correcteur orthographique est indispensable. D’autres outils d’aide à la rédaction, comme un reformulateur de textes, se révèlent particulièrement utiles pour déjouer les pièges syntaxiques.

Pour aller plus loin…
Certains d’entre vous n’auront certainement pas pu s’empêcher de relever toute l’ironie de la situation : le mot hiatus contient lui-même… un hiatus.

Le français n’est pas à une originalité près, mais vouloir à tout prix empêcher les hiatus dans la langue et utiliser un mot comportant un hiatus pour désigner le phénomène paraît être la définition même de l’aporie

 

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Aude Charrin, MA

Traductrice et linguiste de formation, Aude a également enseigné le français à des jeunes en difficulté scolaire. Sa nouvelle mission : démocratiser la langue française en vulgarisant ses concepts.