Diérèse | Définition & exemples
En linguistique, la diérèse est la prononciation en deux syllabes distinctes de deux voyelles habituellement prononcées en une seule et même syllabe.
- li-on ,
- fi-er .
Ces deux mots peuvent aussi être prononcés lion ou fier en une seule syllabe.
Lorsqu’ils subissent la diérèse, ils comptent deux syllabes plutôt qu’une.
La diérèse en poésie permet d’obtenir une syllabe supplémentaire pour offrir au vers le nombre requis de syllabes. Cette contrainte technique ne doit pas faire oublier l’effet de style volontaire recherché par les poètes.
Phénomène linguistique appliqué à la poésie par subterfuge syllabique ou stylistique, la diérèse mérite une petite explicati-on.
Diérèse : définition
Présente dans de nombreuses langues, la diérèse est avant tout un phénomène phonétique : la décomposition en deux syllabes d’une suite de voyelles qui n’en forment à l’origine qu’une seule.
Puisque la prononciation des voyelles n’interrompt pas le passage de l’air dans la bouche, deux voyelles qui se succèdent peuvent être lues en une seule syllabe. Ce n’est toutefois pas toujours le cas ; certains mots présentent une diérèse obligatoire.
- oubli-er ,
- trou-er .
Les voyelles finales subissent une pause obligatoire entre les deux sons et comptent toujours deux syllabes plutôt qu’une.
En poésie, le nombre de syllabes d’un vers est une contrainte propre au genre. L’alexandrin, par exemple, doit présenter un nombre exact de douze syllabes. La diérèse permet de former des syllabes et, ainsi, d’en augmenter le nombre pour respecter la métrique du vers.
Domaine des rythmes et des sonorités, la poésie a adopté la diérèse de manière artificielle. Il n’y a en effet rien de naturel à prononcer le mot lion en deux syllabes, avec une pause au milieu des deux sons vocaliques, soit li-on.
On doit cette prononciation quelque peu « hachée » à Pierre Corneille, dramaturge du XVIIe siècle, célèbre auteur du Cid, et probablement l’un des plus fervents représentants de la poésie classique.
Présente dans la langue depuis toujours, la diérèse, pourtant inconnue des poètes avant Corneille, rencontre un fort succès chez certains auteurs, notamment Victor Hugo. Il transforme régulièrement des mots, à l’origine de deux syllabes, en mots de trois syllabes.
Alliée des poètes à court de syllabes, la diérèse n’est toutefois pas qu’un artifice métrique. Sa prononciation particulière apporte un effet rythmique indéniable, que certains auteurs utilisent avec brio pour faire correspondre la forme et le fond du poème.
Si la diérèse correspond à la dissociation de deux voyelles au sein d’une syllabe, la synérèse, au contraire, permet de fusionner des sons entre eux.
Ces deux phénomènes prennent vie lorsqu’ils sont perçus en termes de rythmes et de sonorités. La dissociation permet de ralentir le rythme en créant deux sons au lieu d’un, tandis que la fusion accélère le rythme en ne gardant qu’un seul son.
Parfois opportuns, mais toujours rythmiques, les phénomènes de diérèse et de synérèse sont considérés en poésie comme des figures de style à part entière, des effets systématiquement volontaires de la part des poètes.
Analyse et exemple de diérèse
Outil stylistique des poètes, la diérèse bouleverse le rythme attendu de la lecture du vers. En divisant les syllabes en deux sons, elle les allonge et cette modification de la forme attire invariablement l’attention sur le fond.
Ruth songeait et Booz dormait ; l’herbe était noire ;
Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement ;
Une immense bonté tombait du firmament ;
C’était l’heure tranquille où les lions vont boire.
[…]
Victor Hugo, « Booz endormi », La légende des siècles
Dans cette strophe, Victor Hugo utilise l’alexandrin, le vers de douze syllabes. Le dernier vers de la strophe présente le mot lion qu’il faut lire avec une diérèse pour obtenir les douze syllabes obligatoires.
Ces vers sont empreints d’une certaine somnolence, le champ lexical de la nuit ralentit le temps, le suspend. La séparation du mot en deux syllabes lues, li-on, contribue, par un effet d’allongement, à magnifier cet étirement de l’espace-temps.
Par sa position finale, la diérèse renforce la « tranquillité de l’heure » et la langueur des troupeaux. La paresse du temps se superpose à la nonchalance des éléments et à celle des animaux.
La diérèse ne se contente pas de ralentir le rythme du poème, elle ralentit, jusqu’à l’arrêt, le pas des lions comme le cours du temps. Ces quelques vers de Victor Hugo sont une véritable ode à la poésie : le rappel, par un de ses plus grands génies, de l’étonnant pouvoir de la forme sur le fond.
Techniquement, la diérèse permet aussi d’éviter un hiatus, la succession de deux voyelles. Historiquement, la langue française tend à éviter ces confrontations de voyelles : la cacophonie engendrée est considérée inesthétique.
Cette dissonance, cette suite peu harmonieuse des sons, n’est pas propre à l’esthétisme poétique. Elle se retrouve dans la langue de tous les jours et explique l’utilisation de consonnes dites épenthétiques, qui rétablit l’harmonie vocalique.
La lettre « t » remplit généralement ce rôle de médiateur, comme dans l’interrogation où va-t-il ? , et justifie surtout la prononciation en « t » de la forme m’entend-il que bon nombre de locuteurs orthographient incorrectement (et on les comprend) par la forme « m’entend-t-il » .
L’utilisation de la diérèse en poésie traduit parfois la recherche volontaire de cette absence d’harmonie. L’effet phonétique désagréable que produit l’hiatus se superpose au contenu pour créer un double effet, à la fois stylistique et phonétique.
Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige,
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.
[…]
Charles Baudelaire, « Harmonies du soir », Les Fleurs du mal
Le mot violon en début de strophe nécessite la diérèse pour que le vers totalise les douze syllabes de l’alexandrin.
La décomposition en trois syllabes du mot, vi-o-lon, ajoute une perception auditive à la métaphore du « violon qui frémit ».
Chaque syllabe prononcée distinctement reproduit le grincement des cordes de l’instrument, comme si elles étaient frottées successivement par l’archet. Ce rythme lancinant est invariablement amplifié par la « fausse note » phonétique produite par l’hiatus.