L’alexandrin (poésie) | Définition et exemples

En poésie, l’alexandrin est un vers de 12 syllabes, présentant une césure, qui le sépare traditionnellement en deux hémistiches de 6 syllabes.

Alexandrin : exemple
« Ma Bohème »

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot soudain devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse, et j’étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

Arthur Rimbaud, Cahier de Douai (première strophe)

Vers le plus noble de la poésie classique, l’alexandrin, ou grand vers, occupe une place majeure dans la versification française.

Qu’est-ce qu’un alexandrin ?

Un alexandrin est un vers de douze syllabes, composé de deux hémistiches de six syllabes, séparés par une césure. Cette césure à l’hémistiche impose à l’alexandrin un rythme binaire, qui a longtemps été la caractéristique principale de ce vers.

Exemple : alexandrins « classiques » avec césure à la sixième syllabe
« Élévation »

Celui dont les pensers, // comme les alouettes,
Vers les cieux le matin // prennent un libre essor,
— Qui plane sur la vie, // et comprend sans effort
Le langage des fleurs // et des choses muettes !

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal (dernière strophe)

Toutefois, les douze syllabes du vers ont permis aux poètes de faire évoluer la définition de l’alexandrin. Parce qu’ils souhaitaient en modifier la lecture, certains auteurs ont déplacé la césure après la quatrième et la huitième syllabe.

Ainsi, le vers n’est plus divisé en deux, mais en trois parties, créant un rythme ternaire et soufflant sur la poésie classique le vent d’un renouveau créatif.

Exemple : alexandrins avec césure à la quatrième* et à la huitième syllabe
« Qu’est-ce pour nous, mon cœur… »

Oh ! mes amis ! // — Mon cœur, c’est sûr, // ils sont des frères :
Noirs inconnus, // si nous allions ! // Allons ! allons !
Ô malheur ! // je me sens frémir, // la vieille terre,
Sur moi de plus en plus à vous ! // la terre fond.

Arthur Rimbaud, Les Illuminations (dernière strophe)

*Le dernier vers ne présente qu’une seule césure à la huitième syllabe.

Cette découpe particulière rappelle combien l’alexandrin est un vers destiné à être lu, en respectant sa ou ses coupes par une pause respiratoire. Elle rappelle aussi la volonté d’une poignée de poètes de s’opposer au classicisme des siècles précédents et d’élever au rang de mouvance artistique le romantisme littéraire de la première moitié du XIXe siècle.

Qu’il soit formé de deux hémistiches ou de quatre fois trois syllabes, l’alexandrin est devenu objet de vénération des plus grands poètes français. Victor Hugo, Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud, mais également Pierre de Ronsard, Joachim du Bellay ou Jean Racine qui les ont précédés, ont adapté sa forme longue à différents genres littéraires, de la tragédie classique à la critique sociale.

Forme canonique par excellence de la poésie classique, l’alexandrin, redynamisé par les poètes romantiques, reste la pièce maitresse de la poésie française. Si certains auteurs se jouent de sa structure en alternant césures régulières et irrégulières, c’est que sa perfection dérange.

Tantôt célébré, tantôt déconstruit, l’alexandrin demeure le seul vers dont l’expressivité est exacerbée par un sens du rythme inégalé.

Un peu d’histoire…
Un alexandrin est un vers que l’on qualifie d’héroïque, car il ferait référence à Alexandre le Grand, héros de l’Antiquité et empereur aux mille conquêtes.

En effet, la paternité de l’alexandrin est généralement attribuée à Lambert le Tort, poète du XIIe siècle, dont le Roman d’Alexandre est uniquement composé de vers de 12 syllabes.

Si ce poème épique fait effectivement référence à l’héroïque conquérant, l’alexandrin, le mot utilisé pour qualifier ce vers de douze syllabes, n’est, lui, recensé que des siècles plus tard.

De plus, les premières attestations de dodécasyllabe, vers de douze syllabes, sont antérieures au Roman d’Alexandre. La chanson de gestes, autre genre de poésie épique écrite en vers de dix ou douze syllabes, atteste d’ailleurs de cette antériorité de plusieurs siècles.

Toutefois, Lambert le Tort serait le premier poète à avoir utilisé des rimes plates, c’est-à-dire des rimes suivies, dans son poème. Historiquement, l’alexandrin serait donc un dodécasyllabe particulier : un vers de douze syllabes à rime plate.

Rétrospectivement, force est de constater que la définition de l’alexandrin s’est élargie : toutes sortes de rimes sont utilisées dans ses versions les plus modernes. Malgré cette entorse à sa structure originelle, il reste le vers de référence en poésie.

Les plus célèbres des poèmes en alexandrins

De la tirade enflammée au sonnet sur l’amour, les poètes français ont manié les douze syllabes de l’alexandrin avec brio. Voici quelques-unes de leurs plus belles réalisations, à la lumière du contexte historique dans lequel elles s’inscrivent.

Du Bellay et Ronsard : les précurseurs

Le XVIe siècle est français dans le fond et italien dans la forme. Du Bellay et Ronsard sonnent la mort du latin au profit d’une langue peu à peu française, enrichie par leurs essais, leurs erreurs et autres trouvailles.

Le sonnet, en provenance d’Italie, est à la mode. Ces quatre strophes de quatre vers, suivies de deux strophes de trois vers, s’imposent comme le modèle poétique de référence. Ce faisant, le sonnet dicte également son rythme : les douze syllabes de l’alexandrin.

Dans le recueil Les Regrets, Joachim du Bellay compose plus de cent quatre-vingt-onze sonnets en alexandrins. Il s’affranchit du lyrisme à l’italienne, dont débordent les sonnets d’amour et les épopées héroïques de l’époque, pour exprimer la nostalgie de sa campagne angevine.

Sonnet en alexandrins
« Heureux qui comme Ulysse »

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage
Ou comme cestuy-là qui conquit la Toison,
Et puis est retourné plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine.

Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur angevine.

Joachim du Bellay, Les Regrets, 1558

Pierre de Ronsard, comme son confrère Du Bellay, s’astreint à cette forme pour composer l’un des sonnets les plus éternels de la littérature courtoise. Ce « sonnet d’amour » insiste sur les ravages du temps, qui flétrit la beauté des orgueilleuses et dissipe la gloire des vaniteux.

Poème d’amour en alexandrin
« Sonnets pour Hélène de Surgères »

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise aupres du feu, devidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me celebroit du temps que j’estois belle.

Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Desja sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille resveillant,
Benissant vostre nom de louange immortelle.

Je seray sous la terre et fantaume sans os :
Par les ombres myrteux je prendray mon repos :
Vous serez au fouyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et vostre fier desdain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’huy les roses de la vie.

Pierre de Ronsard, Second Livre des Amours, 1578

Le classicisme

Le faste de Louis XIV et sa gestion calamiteuse du royaume de France contraint les poètes du Grand Siècle à une création économe, tout en retenue et en sobriété : le classicisme. Pierre Corneille et Jean Racine illustrent, à l’opposé de la démesure royale, cette volonté de retrouver la simplicité idéalisée de l’Antiquité.

Les auteurs des plus grandes tragédies classiques privilégient donc l’alexandrin pour des raisons esthétiques, mais surtout mnémotechniques. Le rythme spécifique de l’alexandrin, découpé en deux hémistiches, améliore le processus de mémorisation des vers.

De la poésie au théâtre | alexandrin 12 syllabes exemple 
Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
(Don Diègue, Acte I, Scène 4)

Je suis jeune il est vrai, mais aux âmes bien nées
La valeur n’attend point le nombre des années.
(Rodrigue, Acte II, Scène 2)

Mes pareils à deux fois ne se font point connaître
Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître.
(Rodrigue, Acte II, Scène 2)

À qui venge son père, il n’est rien d’impossible
Ton bras est invaincu, mais non pas invincible.
(Rodrigue, Acte II, Scène 2)

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
(Le comte, Acte II, Scène 2)

Pierre Corneille, le Cid, 1637

Les grands dramaturges comptent ainsi sur la musicalité des douze syllabes rimées pour pallier les éventuels défauts de mémoire des tragédiens. De la douzaine d’œuvres composées par Jean Racine, dix de ses tragédies sont écrites en alexandrins.

Alexandrin célèbre : l’allitération en « s » de Racine
Dieux ! quels affreux regards elle jette sur moi !
Quels démons, quels serpents traîne-t-elle après soi ?
Eh bien ! filles d’enfer, vos mains sont-elles prêtes ?
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?
À qui destinez-vous l’appareil qui vous suit ?
Venez-vous m’enlever dans l’éternelle nuit ?

Jean Racine, Andromaque, Acte v, Scène 5, 1667

Le romantisme

Au classicisme succède le romantisme d’Alphonse de Lamartine ou de Victor Hugo. Loin de l’action rationnelle imposée par les salons parisiens, les romantiques sont absorbés dans la contemplation passive de leur environnement et de la nature en particulier.

L’alexandrin romantique : exemple de quatrains en alexandrins
« L’isolement »

[…]

Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé.

Que le tour du soleil ou commence ou s’achève,
D’un œil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu’il se couche ou se lève,
Qu’importe le soleil ? je n’attends rien des jours.

Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts ;
Je ne désire rien de tout ce qu’il éclaire,
Je ne demande rien à l’immense univers.

Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,
Lieux où le vrai soleil éclaire d’autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j’ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux !

Là, je m’enivrerais à la source où j’aspire ;
Là, je retrouverais et l’espoir et l’amour,
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n’a pas de nom au terrestre séjour !

[…]

Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques, 1820

L’amour, thématique centrale, teinte cette simple observation d’une mélancolie profonde, souvent rêveuse, parfois résignée par la perte de l’être aimé. L’œuvre des poètes romantiques est dominée par une hyperémotivité qui s’abstient toutefois de tomber dans le sentimentalisme du classicisme.

Poème en alexandrin | Victor Hugo
« Demain, dès l’aube… »

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor Hugo, Les Contemplations, 1856

Le symbolisme

À ce prude romantisme succède, à la fin du XIXe siècle, le symbolisme et sa vision toute spirituelle du monde. Charles Baudelaire, Paul Verlaine et Arthur Rimbaud tentent de s’arracher à la brutalité de l’ère industrielle et de sa modernité.

Pour échapper à cet environnement sale et bruyant, ces jeunes auteurs s’inventent un monde, fait de chimères et d’illusions, à l’abri d’une humanité vénale et d’une urbanité crasse. Reclus, marginalisés, ils vivent dans la misère et la pauvreté, sous le joug de la maladie et de la mort.

Poème en alexandrin | Baudelaire
« L’albatros »

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

Charles Baudelaire, Fleurs du Mal, 1857

L’œuvre de ces poètes maudits, aussi pessimiste qu’idéaliste, rassemble, à l’extrême et jusqu’à la démence, le tragique et le romantisme de leurs prédécesseurs. Connus pour leur abus d’alcool et d’opiacés, les symbolistes ont donné vie au mouvement artistique le plus sombre et, paradoxalement, le plus lumineux de la poésie française.

Alexandrin | poème
« Le Dormeur du val »

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur Rimbaud, Poésies complètes, 1895

Le surréalisme

Le XXe siècle est le siècle de la déconstruction. Elle est avant tout géopolitique avec la fin des Empires, suivie par les diverses guerres européennes et mondiales, puis la décolonisation. Elle est surtout artistique, en opposition à ce climat politique instable et une vie économique et sociale régie par les privations.

Devant cet avenir plus qu’incertain, le surréalisme vante les attributs d’une modernité glorifiée par une liberté chèrement acquise et sans cesse renouvelée. Pour Guillaume Apollinaire, le sonnet et son alexandrin reflètent des valeurs désuètes, une inaptitude totale à la modernité.

Cette volonté de changement s’illustre parfaitement dans le seul poème en alexandrin du mouvement surréaliste. Figure de proue du mouvement, Apollinaire emprunte le vers noble et classique pour mieux le transfigurer, se jouer de ses codes, et mépriser rimes et quatrains par la même occasion. Les surréalistes forgent leur propre poésie, décomposée, disséquée, à l’image de leur époque, délitée par la haine et la peur.

Alexandrin | poésie surréaliste
C’est au précurseur du surréalisme que l’on doit le seul monostiche, poème d’un vers, en alexandrin de la poésie française.

« Chantre »

Et l’unique cordeau des trompettes marines

Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913

Questions fréquentes sur l’alexandrin

Un alexandrin, c’est quoi ?

L’alexandrin classique est un vers de douze syllabes, composé de deux parties de six syllabes, appelées hémistiches.

Qu’est-ce qu’un quatrain en alexandrins ?

Un quatrain en alexandrins est une strophe de quatre vers de douze syllabes.

Qu’est-ce qu’un sonnet en alexandrins ?

Un sonnet en alexandrins est un poème composé de quatre strophes de quatre vers, suivies de deux strophes de trois vers, lesquels sont tous des alexandrins.

Quel est le plus beau poème sur l’hiver en alexandrins ?

Composé en 1920, « Nuit de neige », tiré du recueil Des vers de Guy de Maupassant, est l’un des plus beaux poèmes, écrit en alexandrins, sur le thème de l’hiver.

Quel est le plus célèbre sonnet en alexandrins sur l’amitié ?

Composé en 1654, « Amitié Fidèle », tiré du recueil Poésies diverses de Nicolas Boileau, est l’un des plus célèbres sonnets de la poésie classique, écrit en alexandrins, sur le thème de l’amitié.

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Aude Charrin, MA

Traductrice et linguiste de formation, Aude a également enseigné le français à des jeunes en difficulté scolaire. Sa nouvelle mission : démocratiser la langue française en vulgarisant ses concepts.