L’épanorthose | Exemple et définition

Traditionnellement utilisée à l’oral, l’épanorthose consiste à revenir sur ses propos pour les reformuler en les nuançant. Figure de rhétorique avant tout, elle peuple aussi les dialogues narratifs et les monologues théâtraux, et devient alors, sous la plume de leurs auteurs, une figure de style.

Épanorthose : exemple
Jean Moulin, ça, c’était un homme, un grand homme… un homme comme on n’en fait plusce que je veux dire, c’est que ça ne court plus vraiment les rues, aujourd’hui, des hommes comme lui…

Souvent inconsciente, la reformulation des propos est omniprésente dans les échanges quotidiens. La présence de l’épanorthose en contexte narratif démontre par ailleurs la volonté des auteurs de reproduire fidèlement le naturel des conversations.

Épanorthose : définition

L’épanorthose, artifice du discours, permet de reformuler ses propos afin de les nuancer. La nuance apportée tend à renforcer le nouvel énoncé, que ce soit pour l’intensifier ou l’atténuer.

Cette reformulation n’a rien d’anodin, elle apporte un effet positif et immédiat en affichant la sincérité que le locuteur s’efforce de communiquer. Le fait de reformuler ses propos atteste d’une volonté de précision, de clarification : il s’agit pour le locuteur d’affiner sa pensée, qui n’est a priori pas correctement transmise par son premier choix de mots.

Épanorthose def : exemple
Des images défilent devant mes yeux, ou plutôt dégringolent de mes souvenirs pour venir s’écraser au fond du gouffre, s’aplatir au fond de mon cœur.

Procédé de l’oral par défaut, l’épanorthose devient figure de style lorsque certains auteurs cherchent à reproduire fidèlement l’oralité d’une conversation dans un dialogue construit de toutes pièces.

Les conversations écrites, construites artificiellement, s’éloignent de la réalité au point parfois de paraître absurdes. Si le théâtre classique s’accommode de cet aspect factice, certains dialogues de films ou de séries, récités à la lettre par les acteurs, sonnent faux et paraissent surjoués. Cette figure de style rétablit l’authenticité dans les échanges construits.

L’épanorthose peut aussi illustrer l’hésitation des locuteurs, qui, à défaut de trouver les bons mots, en sollicitent d’autres. Lorsque la pensée est brouillée par les émotions, les mots viennent à manquer.

La contrainte du dialogue impliquant une réponse, cette dernière est attendue, presque obligatoire. Les auteurs ayant recours à l’épanorthose dans leurs dialogues cherchent à signaler par les mots la confusion émotionnelle d’un personnage.

Épanorthose : Juste la fin du monde, prologue
Figure de proue du théâtre contemporain, Jean-Luc Lagarce manie l’épanorthose avec brio dans Juste la fin du monde.

Du prologue à l’épilogue, toute la pièce illustre l’incapacité totale des personnages à communiquer, autant dans les monologues que dans les dialogues.

Chaque personnage souffre d’une expression hésitante, laborieuse, qui impose finalement le silence et empêchera le personnage principal d’avouer la raison de son retour.

En plus des reformulations, l’auteur utilise les répétitions pour amorcer l’épanorthose, ce qui confère au monologue du personnage toute son authenticité.

[…]
l’année d’après,
je décidai de retourner les voir, revenir sur mes pas, aller sur
mes traces et faire le voyage,
pour annoncer, lentement, avec soin, avec soin et précision
 ce que je crois 
lentement, calmement, d’une manière posée
 et n’ai-je pas toujours été pour les autres et eux, tout
précisément, n’ai-je pas toujours été un homme posé ?,
pour annoncer,
dire,
seulement dire,
ma mort prochaine et irrémédiable,
l’annoncer moi-même, en être l’unique messager,
et paraître
 peut-être ce que j’ai toujours voulu, voulu et décidé, en
toutes circonstances et depuis le plus loin que j’ose me
souvenir 
[…]

Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, extrait du prologue

L’épanorthose en tant que figure de style comble le côté factice d’une conversation écrite en apportant toute la spontanéité et le naturel inhérents à la langue orale.

Comment identifier l’épanorthose

Figure de style et de rhétorique, l’épanorthose enrichit les échanges en permettant aux locuteurs d’hésiter, de chercher le mot juste, de préciser leurs pensées.

Si certaines locutions affichent explicitement l’acte de reformulation (ce que je veux dire), les adverbes apportant une précision, tels que voire ou même, ainsi que ceux exprimant une correction, comme mieux, ou plutôt, procurent des preuves lexicales plus implicites.

Certaines constructions permettent également d’apporter un indice syntaxique de la présence de la figure de style dans un énoncé oral ou écrit.

L’apostrophe

Une apostrophe est une figure de rhétorique dans laquelle le locuteur interpelle un personnage. Lorsque cette apostrophe est une question rhétorique au je, comme le fameux Que dis-je ? du théâtre classique, la personne interpellée n’est autre que l’auteur des propos.

Épanorthose : exemple avec apostrophe
[…]
Nous étions ennemis dès la plus tendre enfance ;
Que dis-je ? nous l’étions avant notre naissance.
[…]

Jean Racine, La Thébaïde ou les Frères ennemis, acte IV, scène 1.

Il faut les croire sur paroles, qu’est-ce que je raconte ?, avaler leurs couleuvres serait plus approprié.

Cette présence énonciative permet au locuteur de rapporter ses propres paroles. Il ne se contente pas de les dire, il les signe, il se les attribue explicitement et en assume l’entière signification (comme l’ironie du second exemple).

Le parallélisme

Le parallélisme est la répétition d’une même structure. Ce procédé stylistique permet de reformuler les propos de façon quasi identique. De cette manière, l’élément non commun aux deux structures est automatiquement mis en emphase.

Ainsi, le parallélisme se prête particulièrement bien à l’utilisation de structures similaires, mais de sens contraires. La présence d’une structure négative, suivie par la même structure affirmative, crée un effet de miroir particulièrement approprié à la reformulation des propos.

Épanorthose : exemple de parallélisme
C’est que, je voulais… je ne voulais pas vous déranger.

Je vous implore, non, je vous supplie de m’accorder votre grâce.

Je ne le veux pasje ne veux pas de lui je n’en veux pasje n’en veux plus.

La répétition

La reformulation de l’épanorthose peut également prendre la forme d’une répétition, dans laquelle le mot répété sert d’amorce à la figure de style. De plus, la gradation, qui permet d’enchaîner des mots dans un ordre croissant ou décroissant, bonifie grandement la répétition et sublime, par ricochet, la reformulation.

Épanorthose : exemple de répétition et de gradation
Les mots sont lancés, les mots sont jetés, pire encore, les mots sont lâchés, sans jamais être pesés.

Un torrent, une cascade, mieux, un déluge, déferlait de ses yeux.

Les signes typographiques

La ponctuation permet aussi d’identifier l’épanorthose, et notamment les points de suspension, qui sont le signe par excellence du non-dit et de l’allusion. Ces trois petits points trahissent l’hésitation du locuteur, ce qui en fait les prémices de cette figure de style.

Comme pour l’aposiopèse, la présence de ce signe ne garantit toutefois pas celle de la figure de style. Les propos doivent d’abord être prononcés, puis reformulés et nuancés pour véritablement parler d’épanorthose.

Questions fréquentes sur l’épanorthose

L’épanorthose : figure de style ou de rhétorique ?

L’épanorthose appartient avant tout au domaine de l’oral puisqu’il s’agit de reformuler des propos pour les nuancer.

Toutefois, lorsque les auteurs de romans ou de pièces de théâtre choisissent d’en ponctuer leurs dialogues ou monologues, l’épanorthose devient alors figure de style.

Quelle est l’épanorthose la plus célèbre du théâtre classique ?

L’une des plus célèbres épanorthoses de la tragédie classique se trouve dans la tirade du nez (acte I, scène 4), de Cyrano de Bergerac. Sous la plume d’Edmond Rostand, Cyrano affirme à propos de son disgracieux appendice : « Que dis-je, c’est un cap ?… C’est une péninsule ! »

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Aude Charrin, MA

Traductrice et linguiste de formation, Aude a également enseigné le français à des jeunes en difficulté scolaire. Sa nouvelle mission : démocratiser la langue française en vulgarisant ses concepts.