Zeugme | Définition & exemples
Entre la figure de style et l’erreur syntaxique, le zeugme s’affranchit des règles pour associer, de façon incongrue, des mots et des idées.
- Il entrait chez eux, dans les bonnes grâces de la famille.
- Elle ne relevait plus ses propos mensongers ni le défi de l’écouter.
- Elle se laissait couler, et les larmes, et les jours.
- Ils ne voyaient rien devant eux et qu’un mur se dressait.
Sémantique ou syntaxique, le zeugme n’a pas son pareil pour jouer avec les mots, bien souvent jusqu’aux limites de « l’acceptable ».
Exercice de style libre ou rupture syntaxique imposée, il vous faudra, pour bien le manier, faire contre mauvaise rupture bonne figure.
Zeugme : définition
À la fois figure de style et figure de rhétorique, le zeugme consiste à lier deux ou plusieurs mots à un seul élément. Toutefois, ce lien ne peut s’effectuer sans une certaine rupture.
Le zeugme sémantique
Dans le cas d’une rupture de sens ou de registre, on parle de zeugme sémantique. Il joue avec le concret et l’abstrait, le sens propre et le sens figuré des mots et des expressions figées.
- Il fut un temps où nous partagions la vedette et la loge d’honneur.
- Il entra dans la salle, laissant son orgueil et son chapeau au vestiaire.
Explication :
Dans les exemples ci-dessus, les différents compléments de verbes expriment des réalités concrètes et abstraites.
En effet, les verbes partager et laisser admettent un complément tangible, matériel et physique : un chapeau ou une loge.
Mais ces deux verbes, dans un usage nettement plus métaphorique de leur sens propre, tolèrent également des compléments abstraits, immatériels, comme l’orgueil ou le premier rôle d’une pièce de théâtre.
Le zeugme sémantique permet de rapprocher des mots, possédant des traits sémantiques communs, à un seul élément verbal, malgré leur différence d’abstraction.
Cette figure de style permet aussi d’associer des expressions figées et de créer des images originales, loin de celles véhiculées par leur sens premier.
Ce faisant, le zeugme impose une rupture sémantique inattendue. Plus cette rupture est marquée, plus l’effet est saisissant.
- Elle prit la porte, la clé de la voiture et des champs.
- Il me coupe la parole et la poire en deux.
Explication :
Dans le premier exemple, les expressions figées prendre la porte et prendre la clé des champs sont associées au sens concret de prendre, synonyme de se saisir de quelque chose.
Les trois éléments ainsi associés (la porte, la clé de la voiture et celle des champs) amplifient la portée narrative de l’action. Le zeugme, associé à une gradation, porte d’abord sur des détails matériels, infimes et précis, puis s’ouvre sur une métaphore de liberté et d’exil.
En quelques mots, l’auteur fait naître un contraste saisissant entre un lieu exigu, le cadre d’une porte et l’habitacle d’une voiture, et un horizon sans limites, métaphore d’un tout autre destin.
Dans le deuxième exemple, le sens figuré de l’expression couper la poire en deux relève d’une certaine familiarité, alors que couper la parole appartient au registre standard.
En plus de l’indéniable effet comique apporté par la rupture de registre, ce zeugme remplit à merveille sa fonction sémantique. Il véhicule une information essentielle à la trame narrative, dont on ne sait pourtant rien : la prise de décision autoritaire de l’interlocuteur.
Le zeugme syntaxique
Proche de l’ellipse, le zeugme sémantique est nettement mieux accepté que son pendant syntaxique. En effet, le zeugme syntaxique est le mal-aimé des traducteurs et des réviseurs, car il concerne un aspect, considéré comme immuable, de la langue française : sa syntaxe.
La syntaxe du français veut que les verbes transitifs indirects requièrent une préposition devant leurs compléments. Le zeugme syntaxique correspond essentiellement à un mauvais usage de ces prépositions.
Certains verbes acceptent plusieurs prépositions (aller chez / à / en ; parler de / à ; etc.) en fonction de leur sens. Ce choix se fait généralement de façon intuitive, mais il peut s’avérer plus complexe lorsqu’il s’agit de coordonner différents compléments.
De fait, un zeugme syntaxique s’avère particulièrement insidieux et parfois difficilement identifiable.
- « Il tenta et parvint à lui tirer les vers du nez. »
= Il tenta de lui tirer les vers du nez et il y parvient. (parvenir à quelque chose)
- « Elle se souvient et revoit son visage. »
= Elle se souvient de son visage et le revoit. (revoir quelque chose)
- « Ma grand-mère croit en moi, Dieu et tout ce que je lui raconte. »
= Ma grand-mère croit en moi et en Dieu ; elle croit aussi tout ce que je lui raconte. (croire quelque chose)
- « Elle s’interdisait l’alcool et de fumer. »
= Elle s’interdisait l’alcool et la cigarette. (s’interdire quelque chose)
= Elle s’interdisait de boire et de fumer. (s’interdire de faire quelque chose)
Explication :
Ci-dessus, les exemples entre guillemets sont des phrases considérées comme agrammaticales, car elles présentent un zeugme syntaxique.
Sous ces exemples, les phrases en italique présentent le même énoncé grammaticalement correct. Les prépositions ont réintégré la phrase et la coordination des différents compléments est rétablie.
Le zeugme syntaxique est véritablement un manque de lien syntaxique entre les compléments directs et indirects d’un ou de plusieurs verbes. Parfois, la répétition du verbe ou un changement de classe grammaticale permet de rétablir la cohérence syntaxique entre les différents éléments.
Les exemples proposés ci-dessus sont des phrases pourtant courantes, qui peuvent paraître tout à fait acceptables en première lecture. Certains liens syntaxiques s’avèrent tellement difficiles à rétablir que leur subtilité échappe même aux meilleurs correcteurs orthographiques.
Pour éviter ces ruptures, un reformulateur de texte est le meilleur des alliés. La connaissance de synonymes ou d’autres figures de style sont également d’excellents outils d’aide à la rédaction, qui plus est, accessibles gratuitement sur le blog de QuillBot.
Conçue de façon intentionnelle, la figure de style témoigne de la virtuosité de l’auteur à jouer avec les mots et leur sens, qu’il soit premier, double, propre ou figuré. Le zeugme sémantique offre donc un intérêt créatif et ludique, sans (trop) déroger aux règles.
Jouer avec les mots, c’est surtout en connaître les limites, car on ne peut s’affranchir de règles que l’on ignore. La création littéraire suppose d’en maîtriser les codes, de savoir se conformer aux normes pour mieux les transgresser, en toute connaissance de cause.
Au contraire, le zeugme syntaxique est considéré, au même titre que l’anacoluthe, comme une faute de syntaxe. En dehors de la poésie, il reflète une certaine méconnaissance de la langue, synonyme d’un manque de maîtrise.
Involontaire, voire inconscient, le zeugme syntaxique est, comme tous bons solécismes, particulièrement bien intégrés dans l’usage. Sa présence dans les médias — la construction fautive « pallier à », par exemple — trahit le caractère quelque peu illusoire de cette « maîtrise ».
Si vous avez l’âme d’un poète, usez et abusez du zeugme, qu’il soit syntaxique ou sémantique, mais sachez que toute extravagance non délibérée pourrait aussi ne pas plaire à vos pairs.