L’aposiopèse (figure de style) | Définition et exemples

En rhétorique, l’aposiopèse consiste en une brusque interruption du discours sous l’effet de l’émotion. Cette pause traduit généralement une hésitation, mais véhicule des informations volontairement sous-entendues.

Aposiopèse : exemple
J’hésitais entre m’excuser. Avoir une discussion de fond avec lui. Je sais que tu ne m’as rien fait lorsque j’étais petit, mais…

OLIVÈS Françoise, Marc Beltra: roman autour d’une disparition

À l’écrit, cette figure de style, ponctuant les dialogues, est principalement représentée par des points de suspension. Volontaire ou inconsciente, cette interruption est toujours suivie d’un silence qui en dit bien souvent plus long que les mots eux-mêmes.

Aposiopèse: définition

L’aposiopèse, figure de style et figure de rhétorique, s’emploie autant à l’écrit qu’à l’oral. Tiré du grec ancien, le terme fait référence à l’interruption des paroles d’un individu, à une rupture nette au sein d’une phrase.

En rhétorique, ce choix de se taire au beau milieu de son message, de suspendre ses propres paroles vise souvent à dissimuler une certaine émotion, qu’elle soit positive ou négative. Il est toutefois toujours fait à dessein pour laisser entendre une information à son interlocuteur.

Aposiopèse : exemple littéraire
Je n’aurai pas, Madame, à compter tant de jours.
J’espère que bientôt la triste Renommée
Vous fera confesser que vous étiez aimée.
Vous verrez que Titus n’a pu, sans expirer…

Jean Racine, Bérénice, scène IV, acte 5

Dans cet extrait, Racine a recours à l’aposiopèse pour témoigner de la forte émotion ressentie par son personnage. Ce dernier est réduit au silence par la loi romaine. L’amour de Titus pour Bérénice n’a pas de poids face au devoir que lui impose son statut d’empereur. L’aposiopèse témoigne ici de la soumission totale du personnage à sa fonction sociopolitique.

Surtout en usage dans les monologues et les dialogues de théâtre, l’aposiopèse prend forme à l’aide d’artifices typographiques. Les points d’exclamation, mais aussi la succession de phrases courtes sans ponctuation spécifique, ou encore un retour à la ligne marquant le changement d’interlocuteur et une mise en page particulière, témoignent de ces courtes interruptions du discours.

Aposiopèse : exemples
TITUS : Non, Madame. Jamais, puisqu’il faut vous parler.
Mon cœur de plus de feux ne se sentit brûler. Mais…

BÉRÉNICE : Achevez.

TITUS : Hélas !
BÉRÉNICE : Parlez.
TITUS : Rome… l’Empire…

BÉRÉNICE : Hé bien ?

TITUS : Sortons, Paulin : je ne puis rien dire.

Jean Racine, Bérénice, scène IV, acte 5

Dans cet extrait, Racine sollicite différents artifices typographiques (ponctuation, retours à la ligne, alinéas) pour dramatiser le non-dit jusqu’au silence du personnage. Titus tait ainsi le triomphe des conventions sociales sur son amour pour Bérénice.

D’autres marques de ponctuation finale, notamment les points de suspension, peuvent également dissimuler la volonté de l’auteur de faire allusion à une information manquante.

Qu’elle soit utilisée par les auteurs, leurs personnages, ou les locuteurs eux-mêmes, l’aposiopèse utilise le silence comme effet de style. Le non-dit et les sous-entendus qui en résultent deviennent aussi éloquents que les mots manquants à condition que le destinataire du message, lecteur ou auditeur, comble les vides de l’énoncé et en restitue correctement le sens.

Ainsi, l’aposiopèse doit nécessairement retenir une information, dissimuler un sens, passer sous silence une partie d’un énoncé.

Aposiopèse : exemple littéraire
Prenez garde, Seigneur : vos invincibles mains
Ont de monstres sans nombre affranchi les humains,
Mais tout n’est pas détruit ; et vous en laissez vivre
Un… Votre fils, Seigneur, me défend de poursuivre

Jean Racine, Phèdre

Dans cet extrait, l’information, retenue par pudeur, est partiellement manquante et amorcée par le pronom Un. C’est dans la valeur pronominale de cet énoncé que réside l’aspect insinuatif de l’aposiopèse.

Toutes phrases se terminant par des points de suspension ne présentent pas nécessairement cette figure de style. Par contre, tout énoncé inachevé, souvent suivi d’une digression, ou changement de sujet, a de grandes chances d’avoir recours à ce procédé.

De plus, la reconstitution du discours, laissée entièrement au soin de son destinataire, nécessite une certaine connivence entre l’auteur (ou le locuteur) et le lecteur (ou l’auditeur). L’aposiopèse mérite donc modération et doigté: les lacunes de l’énoncé doivent pouvoir être comblées facilement, mais l’énoncé se doit de rester compréhensible en l’état.

Pourquoi et comment utiliser l’aposiopèse

À l’écrit, le recours aux figures de style peut véritablement dynamiser, voire sublimer un texte. Du dialogue au discours, l’aposiopèse crée inévitablement un effet de latence: les mots sont absents et le sens en suspens.

L’aposiopèse s’appuie sur le silence des personnages pour mettre l’accent sur ce qui vient d’être dit et suggéré. Elle permet ainsi de témoigner de la vive émotion d’un personnage, que ce dernier soit hésitant ou menaçant.

Les phrases inachevées, interrompues par l’aposiopèse, permettent d’accentuer la tension dramatique entre les personnages, mais également de solliciter le lecteur ou le spectateur, qui doit deviner le texte manquant. L’effet est à la fois narratif, fictionnel, mais également factuel et essentiel à l’expérience immersive que vit le destinataire des paroles.

Une telle interruption des propos accélère le rythme des dialogues, les dynamise par une cadence saccadée. Le dialogue n’est plus linéaire, mais conversationnel, proche de la réalité hachée d’un échange naturel.

D’hésitation maladroite en mutisme éditorial, l’aposiopèse est la définition même du silence éloquent. Cette figure de style enrichit monologues et dialogues par la tension et le suspens qu’elle fait naître, entre réticence du discours et connivence participative.

Aposiopèse : exemple Juste la fin du monde
La pièce Juste la fin du monde, écrite en 1990 par Jean-Luc Lagarce, puis adaptée au cinéma en 2016 par Xavier Dolan, est une intrigue familiale dans laquelle chaque protagoniste souffre du mal de dire, une incapacité totale à dialoguer.

Cette pièce recèle, dès son prologue, de nombreux exemples d’aposiopèses. Alors qu’il n’a pas vu sa famille depuis dix ans, Louis, le protagoniste, souhaite lui dévoiler l’imminence de sa mort. Mais Louis hésite, bute, déconsidère ses propos et doute de son propre discours.

Si le théâtre classique cisèle les dialogues, les fige dans la dualité de la réplique, Lagarce remet, au contraire, l’énoncé au centre de la scène, et le ponctue de ces hésitations qui reflètent le naturel des conversations.

Pour rendre la maladresse de ses personnages, le télescopage de leurs mots, Lagarce use et abuse de l’aposiopèse au milieu de monologues dans lesquels les mots se dérobent et ne délivrent finalement jamais les messages.

Questions fréquentes sur l’aposiopèse

Comment utiliser le mot aposiopèse ?

Le mot aposiopèse définit un procédé rhétorique qui devient figure de style au sein des dialogues écrits. Ainsi, on peut dire que le théâtre de Racine a recours à de nombreuses aposiopèses.

Quelle est la différence entre l’aposiopèse et la réticence ?

La réticence, tout comme l’aposiopèse, est une figure de style d’omission.

Les paroles sont intentionnellement suspendues et remplacées par un silence riche de sens. Certains auteurs considèrent l’aposiopèse et la réticence comme synonymes. D’autres mentionnent la présence obligatoire d’une digression après l’aposiopèse, tandis que la réticence permettrait au locuteur de poursuivre le fil de sa pensée malgré l’information manquante.

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Aude Charrin, MA

Traductrice et linguiste de formation, Aude a également enseigné le français à des jeunes en difficulté scolaire. Sa nouvelle mission : démocratiser la langue française en vulgarisant ses concepts.