L’hyperbate | Définition & exemples

L’hyperbate est une figure de style qui consiste à mettre en relief certains mots en changeant leur ordre habituel dans la phrase.

Hyperbate : exemple
De lumière la pièce est noyée. Mes yeux se ferment sur l’éclat, et la porte.

Entre figure de style, enjambement poétique et transgression syntaxique, l’hyperbate peine à trouver sa place et demeure l’un des artifices syntaxiques les plus méconnus de la langue française.

Hyperbate : définition

Principalement employée en poésie, l’hyperbate est une figure de style qui déconstruit l’ordre de la phrase. Certains mots, déplacés en fin de phrase, sont mis en évidence par leur position inhabituelle.

En français, l’ordre des mots dans une phrase est dicté par un ensemble de règles, appelé syntaxe. Ces règles syntaxiques permettent au lecteur d’anticiper le type de mot à venir. En désorganisant les mots de la phrase, l’hyperbate perturbe cette anticipation. Sur le plan stylistique, l’absence du mot attendu crée un effet de surprise.

Hyperbate : exemples
Des branches sous les cerises ployaient,

Lourdes et noires de soleil elles luisaient.

Dans l’exemple ci-dessus, les verbes sont exilés en toute fin de vers. La distance imposée entre ces verbes et leur sujet rompt l’union entre deux mots habituellement proches. Leur position inversée modifie également le sens normal de lecture.

L’hyperbate désorganise la phrase et met à l’écart un mot pour attirer sur lui toute l’attention. Véritable pirouette syntaxique, cette figure de style se joue des règles du français pour confondre et saisir le lecteur.

L’hyperbate en poésie

Plébiscitée par les poètes, cette rupture syntaxique et stylistique est une véritable création par déconstruction, qui s’adapte particulièrement bien à l’art poétique. En effet, s’affranchir des règles et transgresser les codes est l’essence même de toute forme d’art.

Exemple : hyperbate
Albe le veut, et Rome ; il leur faut obéir

Pierre Corneille, Horace

Dans cet extrait, l’hyperbate réside dans la coordination non juxtaposée des noms propres Albe et Rome. Syntaxiquement parlant, ces noms devraient être voisins, séparés uniquement par la conjonction de coordination et.

Hyperbate ou enjambement ?

L’hyperbate prend résolument des largesses avec la syntaxe du français. Ce genre d’entorses syntaxiques, dont la poésie raffole, ne doit toutefois pas être confondu avec d’autres effets stylistiques propres au genre poétique.

Si l’hyperbate permet de rétrograder un composant de la phrase à sa toute fin, l’enjambement implique que le sens véhiculé soit réparti sur plusieurs vers. La rupture n’est plus simplement stylistique ou syntaxique, elle est également physique, illustrée par un retour à la ligne.

L’enjambement permet ainsi une continuité de sens entre un premier vers et le suivant, assurant une compréhension fluide au fur et à mesure de la lecture. Le rôle de l’hyperbate est au contraire de semer le doute et la confusion. Le lecteur, pour bien saisir le sens des mots, doit arrêter sa lecture, voire revenir en arrière.

Différence hyperbate et enjambement
Quelle, et si fine, et si mortelle,

Que soit ta pointe, blonde abeille

Paul Valéry, « L’abeille », Charmes

Dans cet extrait, les adjectifs fine et mortelle sont insérés au sein de la locution figée « Quelle que soit ». L’hyperbate est ici très réussie puisqu’il faut plusieurs lectures pour véritablement isoler et reconnaître cette locution.

De plus, ces adjectifs précèdent le nom qu’ils qualifient. Le lecteur n’en saisit pleinement le sens qu’en poursuivant sa lecture. Le deuxième vers révèle en effet le nom féminin, pointe, qui se rapporte aux adjectifs. L’enjambement crée un léger effet de suspens, mais l’incompréhension reste de courte durée.

Bien que graphiquement proches, ces deux figures de style ne peuvent être confondues, car leur rôle s’oppose. L’enjambement assure une certaine cohérence, tandis que l’hyperbate sème le chaos dans les structures sémantique et syntaxique.

L’hyperbate en littérature

Si l’enjambement et l’hyperbate sont relativement différents par l’effet recherché, le vers n’appartient qu’au registre poétique, ce qui tend à les opposer définitivement. L’hyperbate n’est toutefois pas la seule rupture syntaxique du genre littéraire.

Exemple : hyperbate
L’Aigle dévorerait une fois de plus les oisons italiens après avoir allongé çà et là quelques bons coups au présomptueux coq français; quelques braves gens mourraient, dont c’était le métier ; l’empereur ferait chanter un Te Deum pour la victoire de Sienne ; […]

Marguerite Yourcenar, L’œuvre au noir

Dans cet extrait, la proposition relative dont c’était le métier a pour antécédent, c’est-à-dire le groupe de mots que le pronom relatif remplace, braves gens.

Syntaxiquement, la proposition relative devrait se trouver immédiatement après son antécédent, comme dans l’exemple suivant : Quelques braves gens, dont c’était le métier, mourraient.

Le contexte de la phrase laisse supposer, non sans ironie, que ces braves gens sont des soldats, dont le métier est effectivement de tuer ou d’être tués.

L’hyperbate, et accessoirement l’ironie, permet ici d’attirer l’attention sur l’absurdité de la fonction de soldat : donner la mort au risque de la trouver.

Hyperbate ou anacoluthe ?

En linguistique, l’anacoluthe est une rupture syntaxique, une discontinuité dans l’ordre des mots d’une phrase. Puisqu’elle contrevient à la syntaxe du français, elle est considérée comme fautive, surtout si elle empêche la bonne compréhension de la phrase et gêne la transmission du message.

Exemple : anacoluthes
  • Dans l’attente de votre réponse, veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes respectueuses salutations. »

Le sujet de Dans l’attente de votre réponse n’étant pas le même que celui du verbe veuillez, ces deux éléments ne peuvent être juxtaposés.

  • Dans l’attente de votre réponse, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes respectueuses salutations. »

Le sujet de Dans l’attente de votre réponse est le même que celui du verbe prie, c’est-à-dire je. Ces deux éléments peuvent être juxtaposés, car la syntaxe de la phrase est respectée : un seul et même sujet commande tous les verbes de la phrase.

  •  Ainsi défiguré, personne ne pouvait reconnaître son visage.

Le sujet de défiguré n’étant pas le même que celui du verbe pouvait, ces deux éléments ne peuvent être juxtaposés.

  • Ainsi défiguré, il passait complètement inaperçu.

Le sujet de défiguré est le même que celui du verbe passait, c’est-à-dire il. Un seul et même sujet commande le reste de la phrase.

En stylistique, l’anacoluthe devient figure de style, sous le nom d’hyperbate. Leur différence est uniquement perceptuelle et réside essentiellement dans l’intention de l’auteur. Si la construction est involontaire et ne cherche pas à mettre en valeur une information, il s’agit d’une erreur syntaxique. Si, au contraire, elle crée un effet de surprise en mettant un mot en évidence, il s’agit d’un artifice stylistique volontaire.

À la frontière entre plusieurs genres, l’hyperbate souffre d’une certaine méconnaissance qu’elle doit en partie à sa ressemblance avec l’erreur syntaxique. Largement employée en poésie où les codes sont plus souples et les interprétations multiples, cette figure de style rompt volontairement avec l’ordre logique de la phrase. Ce faisant, elle démontre au contraire toute l’habileté rédactionnelle et la maîtrise grammaticale que son utilisation nécessite.

Questions fréquentes sur l’hyperbate

L’hyperbate est-elle une faute de syntaxe ?

L’hyperbate est un procédé stylistique conscient de mise en emphase. Cette figure de style prend le lecteur par surprise et sème volontairement la confusion dans son esprit. À l’inverse, l’anacoluthe est considérée comme une erreur syntaxique involontaire pouvant nuire à la compréhension du message.

Quel est le synonyme d’hyperbate ?

Hyperbate et anacoluthe peuvent être considérées comme synonymes, car les deux termes font référence à une rupture syntaxique. Toutefois, l’hyperbate est un procédé stylistique volontaire, tandis que l’anacoluthe est une erreur syntaxique involontaire.

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Aude Charrin, MA

Traductrice et linguiste de formation, Aude a également enseigné le français à des jeunes en difficulté scolaire. Sa nouvelle mission : démocratiser la langue française en vulgarisant ses concepts.